Comptes rendus La Nonne sanglante à l’Opéra-Comique
Comptes rendus

La Nonne sanglante à l’Opéra-Comique

04/07/2018

Salle Favart, 2 juin

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© PIERRE GROSBOIS

André Heyboer (Le Comte de Luddorf)
Luc Bertin-Hugault (Le Baron de Moldaw)
Michael Spyres (Rodolphe)
Vannina Santoni (Agnès)
Jodie Devos (Arthur)
Jean Teitgen (Pierre l’Ermite)
Marion Lebègue (La Nonne)
Enguerrand de Hys (Fritz)
Olivia Doray (Anna)

Laurence Equilbey (dm)
David Bobée (msd)
Aurélie Lemaignen (d)
Alain Blanchot (c)
Stéphane Babi Aubert (l)
José Gherrak (v)

Comment transformer un « roman gothique » britannique en « grand opéra » parisien ? Demander à l’inévitable Eugène Scribe d’embourgeoiser un épisode sulfureux du Moine (1796) de Matthew Gregory Lewis. Berlioz avait un moment songé à mettre en musique cette rocambolesque Nonne sanglante, avant de se décourager et de laisser avec élégance le jeune Gounod, qui le lui a demandé timidement, s’y frotter pour son deuxième opéra.

Pour la première Salle Le Peletier, le 18 octobre 1854, Berlioz va affûter une de ses critiques adroites, qui raconte longuement une histoire à dormir debout, citant tout le temps le texte de Scribe, non sans ironiser à demi-mot sur des formules comme : « Atteint par le trépas/Pour lui s’ouvre la tombe ! Et moi je n’en ai pas… » Quitte à relever brièvement les meilleurs morceaux de l’ouvrage, en conclusion.

Rendre compte de la résurrection qu’en fait aujourd’hui l’Opéra-Comique (après Osnabrück en 2008, en CD chez CPO), n’est pas chose aisée, venant après un tel talent. D’autant que le futur auteur de Faust n’a pas encore la maîtrise que nous lui connaissons, que le fantastique n’est pas son domaine d’élection et que Scribe, blanchissant une héroïne lubrique et introduisant le digne Pierre l’Ermite, pour favoriser le goût religieux du musicien – lequel ne donne pas les meilleurs passages –, a tout fait pour ne pas effaroucher le public de l’époque par une histoire de parricide.

Ce soir, David Bobée et Laurence Equilbey ont, paraît-il, beaucoup interrogé la psychanalyse afin d’intéresser le spectateur du XXIe siècle. Au vrai, l’intention n’est pas toujours aussi perceptible à la représentation. Après un premier tableau du plus bel effet, stylisant la bataille par le jeu de lignes des lances, la suite sera moins convaincante. Surtout par le fait d’un parti pris obstiné de noir et blanc (en fait plus noir que blanc), dominant de bout en bout le spectacle et le privant à la longue de relief (quelques vidéos aussi obscures n’y changent rien), d’une direction musicale toujours fougueuse, mais peu nuancée, et d’un Insula Orchestra pas toujours très précis – alors que le chœur Accentus, fidèle à sa renommée, galvanise les ensembles.

Du coup, le spectacle peine à ressusciter le faste fabuleux du « grand opéra » d’autrefois, dont nous n’avons plus idée. Et guère non plus, il faut bien en convenir, les moyens financiers exorbitants qui feraient sans doute mieux passer tout ce qui risque de dater désormais quelque peu. Très bonne idée, par exemple, de conserver au moins une partie du ballet, passage obligé du genre, mais plus d’imagination contemporaine (un peu gothique, pourquoi pas ?) aurait davantage renouvelé l’intérêt qu’une mimique assez conventionnelle.

En revanche, le plateau vocal est de haut parage, comme il semble l’avoir été à la création. Dominé de loin par le héros Rodolphe : superbe vaillance de Michael Spyres qui se joue des pires difficultés du rôle. On le sent même prêt à lâcher parfois le forte général ambiant, quand on le lui permet. Jodie Devos – deuxième triomphatrice de la soirée dans l’emploi du page Arthur – n’y échappe pas toujours, aussi à l’aise en scène et dotée d’une voix brillante, aux éclats un peu fulgurants pour un rôle léger.

Tous les autres chanteurs sont aussi valeureux, notamment la Nonne de Marion Lebègue, négociant de justesse une partie peu développée, mais redoutable par les registres trop écartelés, ce que ne risquera plus à l’avenir un jeune compositeur aussi doué mélodiquement. Il faut encore louer l’Agnès de Vannina Santoni et, surtout, André Heyboer, le Comte de Luddorf, père criminel et pour finir repenti : bien que souffrant, il a surmonté vaillamment au dernier acte un des airs les plus intéressants de l’ouvrage, lequel évoquerait presque les grands barytons verdiens.

Il y a évidemment d’autres beaux moments dans cet opéra encore imparfait, de ceux que Berlioz avait bien jugés, comme l’air de Rodolphe « Un jour plus pur » (« qui m’a tout d’abord paru le chef-d’œuvre de la partition »), la jolie chanson meyerbeerienne du Page au deuxième acte ou encore le somptueux ensemble qui achève le premier. Dès l’Ouverture, étrange rhapsodie, se déploie le talent le plus certain de Gounod pour une subtile orchestration, plus admirable tout au long de la partition que l’abondance de septièmes diminuées, voire de modulations imprévues, censées provoquer l’effroi.

Il serait assez tentant pour conclure d’en revenir à Berlioz (« L’ensemble paraît cependant manquer du mystère et de la terreur qu’on voudrait y voir dominer »), si l’on ne devait reconnaître les mérites du Palazzetto Bru Zane et de l’Opéra-Comique qui ont eu l’audace de quitter les sentiers battus et de nous faire connaître un Gounod imprévu.

RÉMY STRICKER

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