Comptes rendus Lohengrin à Bruxelles
Comptes rendus

Lohengrin à Bruxelles

31/05/2018

La Monnaie, 22 avril

PHOTO :

Gabor Bretz, Eric Cutler et Ingela Brimberg.
© LA MONNAIE/BAUS

Gabor Bretz (Heinrich der Vogler)
Eric Cutler (Lohengrin)
Ingela Brimberg (Elsa von Brabant)
Andrew Foster-Williams (Friedrich von Telramund)
Elena Pankratova (Ortrud)
Werner Van Mechelen (Der Heerrufer des Königs)

Alain Altinoglu (dm)
Olivier Py (ms)
Pierre-André Weitz (dc)
Bertrand Killy (l)

Comme beaucoup de metteurs en scène, Olivier Py est prolixe en explications préalables à ses réalisations. En sus d’un texte dans le programme de salle, il a cette fois décidé, avant le lever de rideau, de donner au public, micro en main, quelques clés de lecture de sa nouvelle production de Lohengrin. En quelques mots : Wagner raconte, avec près d’un siècle d’avance, l’avènement du Troisième Reich et son échec, son sixième opus lyrique devenant dès lors « un opéra non pas nationaliste, mais sur le nationalisme ».

Ce préambule était-il nécessaire ? Sans doute pas, d’autant que ce que l’on voit, comme souvent, ne correspond que par intermittence au propos liminaire. Mieux vaut donc, pour le critique, analyser le spectacle tel qu’il est, c’est-à-dire du « bon » Olivier Py, cohérent à l’intérieur d’un parti pris que l’on peut discuter, et surtout constamment habité par le sens du spectacle.

D’une grande beauté, le décor de Pierre-André Weitz situe l’action dans ce qu’Olivier Py appelle l’« Allemagne année zéro », à savoir les ruines de Berlin, en 1945. Comme toujours, ou presque, avec cet indestructible tandem, tout se joue (costumes compris) dans la gamme noir-blanc-gris, avec une tournette au centre du plateau dévoilant successivement, dès le Prélude, les deux principaux éléments du dispositif : une façade d’immeuble en briques grises aux vitres cassées, et une salle de théâtre aux loges sévèrement endommagées.

L’intrigue de Lohengrin n’a rien de gai, mais Wagner termine quand même sur une lueur d’espoir, avec l’avènement du jeune duc de Brabant. Fidèle à son parti pris de départ, Olivier Py refuse cet espoir. Le héros offre certes, à la fin, un nouveau prince au peuple, mais c’est un enfant mort : le frère d’Elsa, tout vêtu de blanc, qu’Ortrud avait assassiné au premier acte et dont elle avait dissimulé le cadavre.

L’image est évidemment en contradiction avec le message wagnérien, mais on se laisse convaincre par sa puissance et sa cohérence en regard de tout ce qui a précédé : un Lohengrin monsieur Tout-le-monde, que le rêve d’Elsa propulse au rang de héros et que le « Roi » utilise pour sa propagande nationaliste (extraordinaire moment, au II, où l’on voit les deux hommes poser sous l’œil du photographe, le « Chevalier » arborant, sur son complet-veston, une armure et des ailes en carton) ; Ortrud et Telramund en serviteurs de l’idéologie nazie, décidés à empêcher l’avènement d’un monde nouveau et prêts à s’enfuir, valise à la main, vers un refuge dans les Alpes bavaroises, projetées sur un écran descendu des cintres ; une Elsa privée de robe de mariée par les bombardements, arborant un simple voile sans doute récupéré dans les décombres…

On s’irrite, bien sûr, des tics récurrents du metteur en scène : personnages écrivant à la craie des fragments de poèmes, beau gosse torse nu, venant faire de la gymnastique au sol pendant le prélude du III… Mais comment ne pas admirer le finale du II, quand la tournette s’ouvre pour dévoiler une vue panoramique en noir et blanc de la ville en ruine, devant laquelle s’avancent les chœurs au grand complet ? Olivier Py est décidément l’un des rares hommes de théâtre actuels que les exigences du « grand opéra » spectaculaire n’effraient pas. Grâces lui en soient rendues !

Des deux distributions en alternance, nous avons entendu la première, dominée par la formidable Ortrud d’Elena Pankratova, grand soprano dramatique à l’aigu puissant, au médium sonore et au grave fermement projeté. Ingela Brimberg séduit également, mais sa voix sonne un peu lourde pour Elsa. On admire son aisance quand il s’agit de passer au-dessus du chœur et de l’orchestre, mais on ne perçoit pas suffisamment la pureté et la lumière intérieure du personnage.

Côté masculin, Andrew Foster-Williams n’a ni la couleur (trop claire), ni l’endurance pour Telramund. Ayant tout donné dans le duo avec Ortrud, il termine difficilement le II. Gabor Bretz et Werner Van Mechelen n’appellent aucun reproche majeur en Roi et en Héraut, Eric Cutler triomphant des écueils du rôle-titre sans vraiment le marquer de son empreinte. Bien, voire très bien, chanté, son Lohengrin manque de charisme, sur le double plan vocal et scénique.

Le triomphateur est incontestablement Alain Altinoglu, déchaîné à la tête d’un Orchestre Symphonique de la Monnaie que, depuis sa nomination au poste de directeur musical, il a porté à un niveau encore inespéré, il y a deux ans. Dès le Prélude, chargé de sensualité et de mystère, l’auditeur sait qu’il va être, de bout en bout, transporté sur les cimes. Tout y est : la violence, la passion, la tendresse, l’élévation spirituelle. Trois ans après ses débuts à Bayreuth, précisément dans Lohengrin, le chef français s’affirme décidément comme un wagnérien d’exception.

RICHARD MARTET

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