Opéra des Nations, 15 septembre

PHOTO : Patricia Petibon.
© GTG/CAROLE PARODI

Patricia Petibon (Manon)
Bernard Richter (Le Chevalier des Grieux)
Pierre Doyen (Lescaut)
Balint Szabo (Le Comte des Grieux)
Rodolphe Briand (Guillot de Morfontaine)
Marc Mazuir (De Brétigny)
Seraina Perrenoud (Poussette)
Mary Feminear (Javotte)
Marina Viotti (Rosette)
Omar Garrido (L’Hôtelier)

Marko Letonja (dm)
Olivier Py (ms)
Pierre-André Weitz (dc)
Bertrand Killy (l)
Daniel Izzo (ch)

Cette nouvelle production de Manon a une souveraine, elle s’appelle Patricia Petibon. Sur le plan vocal, d’abord, même si la fulgurance de la performance scénique tend à reléguer cet aspect au second plan.

Conduisant sa carrière avec sagesse, la soprano française a laissé son instrument s’épanouir naturellement au fil des ans. Le timbre un peu pointu et enfantin des premières années a progressivement gagné en rondeur et en robustesse, notamment dans le bas médium et le grave, sans que la facilité dans l’aigu, ni la précision des vocalises n’en souffrent. Abordée à Vienne, en 2014, Manon arrive donc pile au bon moment dans ce parcours, avec ce qu’il faut encore de jeunesse et de fraîcheur.

Scéniquement, l’incarnation offerte par Patricia Petibon est indissociable du partenariat artistique exceptionnel qu’elle entretient depuis plusieurs années avec Olivier Py, chacun incitant l’autre à donner le meilleur de lui-même, ici comme dans Lulu ou Dialogues des Carmélites auparavant. Même si l’on n’est pas d’accord avec le parti pris consistant à faire de Manon une prostituée dès le premier acte, même si l’on regrette que la transposition dans un univers contemporain interlope sacrifie la nostalgie du XVIIIe siècle si chère à Massenet, même si l’on s’irrite des tics récurrents du metteur en scène (ces diables nus au corps musclé faisant irruption pendant l’air de Des Grieux à Saint-Sulpice !), on finit par succomber à la force de la démarche.

D’emblée, Patricia Petibon accroche le regard, en petit imperméable beige et valise à la main, cherchant son chemin dans la rue d’un quartier chaud, bordée d’hôtels dont les enseignes au néon brillent de couleurs tapageuses. Elle pousse une porte et, par la grâce d’un de ces décors mobiles dont Pierre-André Weitz a le secret, le spectateur se trouve projeté à l’intérieur : quatre chambres réparties sur deux niveaux, de part et d’autre d’un escalier. Manon s’installe dans l’une d’entre elles et enfile une combinaison rouge vif sur ses bas et son porte-jarretelles noirs. Ne reste plus aux clients qu’à venir la peloter, comme ils le font dans la pièce voisine avec Poussette, Javotte et Rosette.

Dévoilant peu à peu toutes les facettes d’une personnalité complexe, cette Manon à nulle autre pareille arrive au Cours-la-Reine (ici, un night-club du même quartier chaud) habillée d’une robe en lamé or et coiffée d’une couronne, telle une vedette de music-hall. Puis, ayant de nouveau attiré Des Grieux dans ses filets, elle le réduit à l’état d’esclave dans un acte de l’hôtel de Transylvanie qui constitue, sans doute, le sommet dramatique de la production. Poussant la perversité jusqu’au bout, l’héroïne oblige son amant à se travestir, en endossant la robe à paniers d’une aristocrate de l’Ancien Régime, elle-même se métamorphosant en Chevalier d’Éon.

La fin est proche : Manon meurt couchée sur le sol, vêtue de lamé noir, la couronne de guingois, devant l’un de ces ciels étoilés qu’affectionnent Olivier Py et Pierre-André Weitz. L’image bouleverse d’autant plus que le jeu des deux protagonistes atteint ici des sommets d’émotion, confirmant au passage le phénoménal talent d’un metteur en scène auquel on a pu reprocher, en d’autres occasions, une certaine routine dans la direction d’acteurs, camouflée par la virtuosité de son décorateur-costumier attitré.

Patricia Petibon trouve en Bernard Richter un partenaire fortement investi sur le plan dramatique. Dommage que le ténor suisse, d’une crédibilité physique absolue, doté d’une diction d’orfèvre, d’un aigu franc et puissant, s’avère incapable d’assouplir et d’adoucir son émission très droite, davantage appropriée au répertoire français des XVIIe et XVIIIe siècles.

Pierre Doyen est parfait en Lescaut, à l’instar d’un Rodolphe Briand plus inquiétant que jamais en Guillot. Pourquoi, en revanche, avoir choisi Balint Szabo pour le Comte ? Handicapé par une prononciation calamiteuse, le chanteur hongrois éructe et bougonne à l’envi. On enrage en pensant au nombre de basses francophones qui auraient fait mieux !

La direction musicale de Marko Letonja est difficile à apprécier, du moins de l’endroit où nous étions assis, tant l’acoustique de l’Opéra des Nations, lieu de repli du Grand Théâtre de Genève pendant les travaux de rénovation de la salle historique, favorise les instruments au détriment des voix. Malgré les efforts du chef slovène pour faire ressortir les subtilités de l’écriture de Massenet, l’Orchestre de la Suisse Romande sonne presque toujours trop fort, réduisant singulièrement la palette des nuances.

RICHARD MARTET

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