Opéras Merveilleuse et angoissante Julie à Nancy
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Merveilleuse et angoissante Julie à Nancy

06/04/2022

Opéra National de Lorraine, 31 mars

Les opéras du compositeur belge Philippe Boesmans (né en 1936) continuent leur belle carrière. On ne compte plus, ainsi, les productions de Julie (Bruxelles, 2005), qui nous revient à la faveur d’un nouveau spectacle, coréalisé par l’Opéra National de Lorraine et l’Opéra de Dijon.

Julie a tout d’un huis clos bergmanien, on le sait : l’action se déroule au cours de la nuit de la Saint-Jean, dans une cuisine où s’affrontent trois personnages. Mais la metteuse en scène italienne Silvia Costa n’a pas voulu jouer la carte du réalisme, et elle a bien fait. Car cette nuit de la Saint-Jean apporte sa part de folie et de mystérieux à un drame qu’on ne peut réduire à un vaudeville tragique. Le décor, ici, est réduit à une boîte noire qui peut, tour à tour, se resserrer et se dilater, à mesure que Julie et Jean se rapprochent ou que la violence éclate entre eux.

On trouve bien une table, mais elle est immense, des bouteilles, mais elles semblent voler ; l’accessoire principal de la première partie est une espèce de lustre fait de disques blancs, à la fois assiettes et pendules, qui peut se transformer en carrousel. Au cours de la seconde partie, ce sont des disques noirs qui créent la tension, car le soleil est devenu promesse de mort.

Silvia Costa joue aussi avec les apparitions (la cage contenant l’oiseau de Julie, l’acrobate Gianni Illiaquer qu’on voit furtivement, la tête en bas), et avec des procédés d’illusionniste (des foulards qui jaillissent des costumes, Kristin suspendue dans le vide en lévitation). Le tout, fort bien éclairé par Marco Giusti, avec parfois de brèves averses de cendre ou de poussière lumineuse, baigne à la fois dans l’angoisse et le merveilleux.

Le seul élément redondant du spectacle est, peut-être, ce double de Julie, figuré par la danseuse Marie Tassin ; elle ajoute peu au personnage et se promène sur la scène plus qu’elle apporte un contre-chant (une contre-danse ?), même quand elle se recroqueville sur elle-même, à la manière de l’héroïne de La Folie de la Fiancée de Lammermoor, peinte par Émile Signol (1850, Tours, musée des Beaux-Arts).

Kristin, elle aussi, a un double, mais c’est le Covid qui l’impose ! Lisa Mostin étant souffrante, Rosabel Huguet, assistante de Silvia Costa, mime le rôle, cependant que la soprano britannique Ffion Edwards, arrivée in extremis, chante sur la scène, côté cour, devant son pupitre (à noter que l’avant-veille, Nancy avait dû annuler la représentation). Et elle chante avec vaillance, se joue des vocalises vertigineuses, et apporte bien ce soleil du matin, ambigu et découpant, voulu par le compositeur.

La mezzo américaine Irene Roberts est une Julie étonnante, à la voix volumineuse, opulente ; une voix qui est celle d’une comtesse davantage que celle d’une fille de comte, mais le contraste avec Kristin est idéal, et le personnage gagne en autorité ce qu’il perd en fragilité. Lui aussi venu des États-Unis, le baryton Dean Murphy a peut-être un peu moins de personnalité ; c’est par l’incarnation qu’il séduit plus que par le timbre, mais son entente scénique avec Irene Roberts fait merveille.

On avait apprécié les qualités de l’Orchestre de l’Opéra National de Lorraine, il y a quelques semaines, dans Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas (voir O. M. n° 180 p. 42 de mars 2022). Même s’il est, cette fois, réduit aux dimensions d’une formation de chambre (et même si, là encore, des instrumentistes ont dû être appelés à la rescousse pour remplacer ceux que la maladie avait rendus indisponibles), il fait de nouveau preuve de sa virtuosité, de son art des nuances et de la dynamique.

La direction impeccable du chef italien Emilio Pomarico prend sa part dans la réussite de ce spectacle, aussi enchanteur qu’angoissant.

CHRISTIAN WASSELIN


© JEAN-LOUIS FERNANDEZ

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