Opéras Noé sur son arche à Caen
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Noé sur son arche à Caen

09/06/2022

Théâtre, 31 mai

Cette nouvelle production du Théâtre de Caen est un projet particulièrement fédérateur. Noye’s Fludde (L’Arche de Noé) de Benjamin Britten avait réuni, à sa création, en juin 1958, au Festival d’Aldeburgh, cent cinquante participants. Ici, c’est pas moins d’une centaine d’acteurs qui a été rassemblée : en fosse, une soixantaine de musiciens, répartis entre l’Orchestre Régional de Normandie et les Élèves du Conservatoire & Orchestre de Caen ; sur scène, deux chanteurs professionnels (baryton et mezzo-soprano) côtoient la Maîtrise de Caen, dont sortent plusieurs solistes, ainsi que quelques danseurs.

Le chef Olivier Opdebeeck unifie le tout avec sûreté et précision, montrant pour l’occasion des talents d’animateur, lorsqu’il fait brièvement répéter, avant le spectacle, trois pièces chorales, où les écoliers et collégiens, qui constituent le public de cette matinée, peuvent joindre leurs voix. Ces enfants ont dûment été préparés en amont par des séances de chant, au sein d’un riche parcours de médiation culturelle. Car le récit du Déluge est particulièrement parlant à notre époque, où les enjeux environnementaux sont cruciaux pour l’avenir de la Terre.

Pour sa troisième collaboration avec la Maîtrise de Caen (après, en 2012, le diptyque Trouble in Tahiti/L’Enfant et les sortilèges, puis, en 2015, Brundibar), le metteur en scène Benoît Bénichou s’est interrogé sur ce que pouvait bien signifier, aujourd’hui, l’Arche de Noé. Avec pertinence, il réinterprète le récit biblique, en faisant de cette nef salvatrice un laboratoire de sauvegarde de la planète, chargé de collecter les échantillons des différentes espèces végétales et animales qui la peuplent, et que le réchauffement climatique et autres catastrophes écologiques, causés par l’activité humaine, menacent d’extinction.

Exploitant le vaste plateau du Théâtre de Caen, le décorateur Christophe Ouvrard a conçu un ingénieux dispositif, où des multitudes de bocaux sont disposés sur des rangées d’étagères. Le livret d’Eric Crozier, donné ici dans une traduction française un peu datée, est très marqué par la dimension sacrée du mythe. Se demandant ce que pourrait être l’équivalent du divin, à une époque qui a largement évacué le religieux, et considérant, à juste titre, que l’avenir de la planète est désormais entre les mains des enfants, Benoît Bénichou imagine que la Voix de Dieu s’incarne en trois garçons de la Maîtrise. Une sainte Trinité irrévérencieusement revisitée par trois rappeurs, officiant dans une cabine de contrôle, depuis laquelle tout est surveillé, et dont les moindres mouvements sont diffusés sur grand écran.

Exubérant au début, le jeune public fait ensuite preuve d’une remarquable concentration, avant d’exploser dans un tonnerre d’applaudissements. Il est vrai qu’après une heure d’ambiance claustrophobique, dans la pénombre, le brillant tableau final fait soudain entrevoir, en fond de scène, l’ouverture sur la rue, avec ses bruits et la clarté du jour : un chemin de lumière qui fait du bien, surtout quand on voit, peu à peu, tous les participants quitter le plateau pour gagner le dehors, vers la vie qui reprend son cours.

Cette lecture, résolument contemporaine et optimiste, est servie par une implication sans faille de tous les chanteurs. La Maîtrise de Caen, préparée par Marie-Pascale Talbot, est formidable de sûreté musicale et de présence physique ; on accordera une mention spéciale, parmi les solistes, au triumvirat divin (Timothée Laignel, Armand Mesmin, Zola Corbet-Le Canu), épatant d’abattage décalé – et plus encore, peut-être, au remarquable Hadrien Joubert, Sem à la belle voix sonore.

Anne-Lise Polchlopek prête son mezzo chaud et puissant, ainsi que son charme, à Madame Noé, tandis que Jean-Christophe Lanièce, tout de blanc vêtu, module suprêmement un Noé profondément humain, de son baryton clair et mordant. Et quelle émotion, sans doute, pour lui de retrouver, en soliste adulte, une Maîtrise dont il a fait partie enfant !

Cette Arche de Noé clôt en beauté la saison lyrique du Théâtre de Caen.

THIERRY GUYENNE


© THÉÂTRE DE CAEN/PHILIPPE DELVAL

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