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Ethel Smyth crée l’événement à Glyndebourne

01/07/2022

Opera House, 10 juin

Événement à Glyndebourne, avec le retour à l’affiche, en ouverture du Festival, d’un monument oublié du répertoire britannique : The Wreckers (Les Naufrageurs). L’œuvre d’Ethel Smyth (1858-1944) fut créée, en 1906, à Leipzig – la compositrice y avait étudié, rencontrant au passage Brahms et Tchaïkovski – dans une traduction allemande, et ce n’est que trois ans plus tard que Thomas Beecham réussit à la faire représenter au Covent Garden de Londres.

Ethel Smyth, elle, s’était donné la peine de commander à l’écrivain Henry Bennet Brewster un livret en français. D’abord, parce que le public anglais un peu snob lui semblait plus féru de compositeurs hexagonaux. Ensuite, parce qu’elle imaginait, Dieu sait pourquoi, que cette histoire de villageois des Cornouailles, éteignant les phares pour trouver de quoi survivre en pillant les bateaux échoués, serait mieux reçue dans un pays francophone.

Il faut dire qu’Ethel Smyth était tout sauf une personnalité consensuelle : compositrice inspirée et productive (une centaine d’œuvres), cheffe d’orchestre (elle fut, en 1928, la première femme à diriger le Philharmonique de Berlin), elle épousa aussi la cause des suffragettes de son temps, ses actions militantes lui valant même quelques jours de prison.

Même si elle n’est pas exempte, çà et là, de formules mélodiques un peu triviales, la partition de The Wreckers vaut qu’on lui redonne sa chance. Faut-il y voir, comme certains l’ont fait, le chaînon manquant de l’histoire de l’opéra anglais, entre Purcell et Britten ? C’est peut-être aller trop vite, et trop loin. Il faudrait, avant d’arriver à pareille conclusion, pouvoir évaluer l’ensemble de la production lyrique d’Ethel Smyth, ce qui, en l’état actuel des choses, s’avère problématique.

En effet, seuls trois de ses six opéras ont été publiés au disque, sous la baguette d’Odaline de la Martinez : The Wreckers, chez Conifer Classics, The Boatswain’s Mate (Londres, 1916) et Fête galante (Birmingham, 1923), chez Retrospect Opera. Rien pour Fantasio (Weimar, 1898), Der Wald (Berlin, 1902) et Entente cordiale (Bristol, 1926).

Si l’Ouverture épique n’est pas sans évoquer celle de Der fliegende Holländer, l’intensité impressionniste du Prélude de l’acte II pourrait être considérée comme préparant aux Sea Interludes de Peter Grimes. On peut aussi déceler, observe la musicologue Elizabeth Kertesz, des traces de Bizet, de Massenet et des compositeurs véristes, mais peut-on pour autant parler d’influences ?

Il est sûr qu’Ethel Smyth connaissait bien la musique de son temps, et que son inclination la poussait plus vers les recettes confirmées de la fin du XIXe que vers les révolutions naissantes du XXe. Son opéra révèle, dans tous les  cas, qu’à défaut d’être novatrice, elle avait un sacré métier et une réelle force théâtrale. En témoignent la construction dramatique, les interludes orchestraux, ainsi que de puissantes pages pour les chœurs. On ne s’ennuie pas un instant, quand bien même on frise les trois heures de musique – l’établissement d’une édition critique a permis de restaurer vingt à trente minutes, coupées pour les représentations londoniennes de 1909.

La mise en scène de Melly Still respecte la dimension spectaculaire et, parfois aussi, la naïveté de la partition, et elle le fait au premier degré, avec notamment quatre danseuses plutôt inutiles. Si le résultat pèche par une direction d’acteurs un peu rudimentaire, il est d’une grande lisibilité. On ne s’étonnera pas, au regard des combats d’Ethel Smyth, que les personnages féminins soient ici les plus intéressants, ceux qui font le plus avancer l’action.

Coup de chapeau, d’abord, à Karis Tucker. Cette extraordinaire mezzo américaine, venue de la troupe du Deutsche Oper de Berlin, donne à Thurza une puissance vocale et une substance dramatique qui en font la vedette de la soirée. Lauren Fagan chante Avis avec beaucoup d’élégance, mais son soprano manque un peu d’ampleur, tandis que Marta Fontanals-Simmons incarne finement le rôle travesti de Jacquet.

En Marc, Rodrigo Porras Garulo compense une intonation parfois approximative par de la vaillance à revendre. L’autre ténor, Jeffrey Lloyd-Roberts, le baryton James Rutherford, les barytons-basses Philip Horst et Donovan Singletary se révèlent, eux aussi, parfaitement à leur place.

Avouons qu’il faut un certain temps pour se rendre compte que l’ouvrage est chanté en français (la distribution n’a, de toute évidence, pas bien assimilé les subtilités de la langue), mais il est probable que le public britannique ne s’en soucie guère, heureux de renouer avec une figure majeure de son histoire musicale.

Robin Ticciati, qu’on a pu trouver parfois pusillanime dans des ouvrages plus connus, met tout son talent et toute son énergie dans cette opération de réhabilitation. Son travail est remarquable de conviction et d’enthousiasme, comme celui du London Philharmonic et des chœurs du Festival.

NICOLAS BLANMONT


© RICHARD HUBERT SMITH

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