Opéras Périchole triomphale à Paris
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Périchole triomphale à Paris

28/11/2022
© Vincent Pontet

Théâtre des Champs-Élysées, 13 & 14 novembre

Après l’Opéra-Comique, en mai 2022 (voir O. M. n° 184 p. 58 de juillet-août), revoici La Périchole, cette fois au Théâtre des Champs-Élysées, dans une nouvelle collaboration entre Marc Minkowski et Laurent Pelly, talentueux thuriféraires d’Offenbach, dont les interprétations d’Orphée aux Enfers, de La Belle Hélène et de La Grande-Duchesse de Gérolstein demeurent dans les mémoires. Comme à la Salle Favart, c’est la version de 1874 (en trois actes, le dernier subdivisé en deux tableaux) qui a été retenue.

Le souci d’« actualiser » les dialogues parlés de Meilhac et Halévy conduit Agathe Mélinand à leur substituer la langue supposée être celle des jeunes gens pauvres du XXIe siècle. Ainsi, la chanteuse des rues reproche au rocker ses « questions à la con » (sic) et déplore de n’avoir « rien à croûter ». Est-ce ainsi, dira-t-on, que le public de l’avenue Montaigne est censé se représenter le petit peuple ? Il n’empêche : la cohérence entre décors, costumes, lumières, la direction d’acteurs exigeante et précise, la qualité musicale des solistes, de l’orchestre et des chœurs émeuvent, sans exclure la réflexion.

L’héroïne punk-à-chiens, en mini-short de jean et bas résille, le dit très justement : « C’est pas le Pérou. » Toute référence au Carrosse du Saint-Sacrement de Mérimée, origine raffinée du livret, est évincée au profit d’une place suburbaine assez sinistre : un immeuble (tagué, au III, pour faire comprendre que la révolte gronde), avec des fenêtres où l’on étend le linge. Le cabaret des Trois Cousines devient une roulotte (pardon, un « food truck »), d’où le rikiki coule à flots.

Le II, par le jeu des miroirs mobiles, les crinolines évoquant Winterhalter, renoue avec la satire du Second Empire et le siècle de l’œuvre. Du coup, on croit voir l’altercation entre Piquillo et la Périchole (superbe robe fuchsia), comme une réminiscence de la fureur d’Alfredo contre Violetta, lors de la fête chez Flora, dans La traviata.

Marc Minkowski célèbre le 40e anniversaire de son orchestre Les Musiciens du Louvre, alliant des tempi vifs à une grande liberté laissée à chaque pupitre, afin de rendre justice aux sonorités flatteuses ou ironiques. La perfection du Chœur de l’Opéra National de Bordeaux, préparé par Salvatore Caputo, entraînant sans nul décalage un plateau survolté, ménage quelques sommets musicaux.

La distribution côtoie cette excellence. Pivot immuable, Stanislas de Barbeyrac joue les loubards en marcel, rôle de composition pour ce Don Ottavio, ce Tamino, ce Pelléas. De beaux accents de tendresse et d’indignation l’amènent à ténoriser (« Ma femme, ma femme, qu’est-ce qu’elle peut faire pendant ce temps-là ? »). Comment ne pas sourire de sa gaucherie, lorsqu’il porte le smoking imposé ?

Les Trois Cousines dispensatrices de boissons et âpres au gain, puis pimbêches de la cour (Chloé Briot, Alix Le Saux, Eléonore Pancrazi), alternent le sans-façon de vivandières et les bonnes manières caricaturales, avec aplomb et plénitude vocale. Ministres déguisés aisément reconnaissables, Rodolphe Briand et Lionel Lhote, toujours intelligibles, donnent de la grandeur à leurs figures dérisoires. Eddy Letexier, franchement comique, campe un réjouissant Vieux Prisonnier, qui jamais ne désespère, armé de son « petit couteau ».

Les Don Andrès en alternance, Laurent Naouri et Alexandre Duhamel, en imperméable, chapeau mou et lunettes noires, sont tous deux saisissants : le premier, sardonique, satanique ; le second, surpuissant, menaçant. On doit à chacun une irruption cocasse en « joli geôlier », avant une participation irrésistible au trio qui s’ensuit. Le spectateur décidera du crédit qu’il faut accorder à leur conversion finale : vraie générosité, ou calcul dans une recherche de popularité ?

Chaque Périchole éclaire des aspects différents du rôle. Antoinette Dennefeld, légère, délicate, se montre émouvante dans « Ô mon cher amant, je te jure » et d’une finesse inhabituelle pour « Ah ! quel dîner je viens de faire ». Marina Viotti, séductrice troublante, au chant ardent, aux graves poitrinés (« Nigaud, nigaud, tu ne comprends donc rien ? »), confine à la diva.

Un triomphe salue l’ensemble, qui ne lésine pas sur les reprises traditionnelles du finale.

PATRICE HENRIOT


© Vincent Pontet

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