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Scènes de Faust musicalement splendides à Anvers

01/07/2022

Opera Vlaanderen, 26 juin

On peut déplorer que peu de metteurs en scène osent affronter Genoveva, l’unique opéra composé par Schumann. On peut, a contrario, s’étonner que certains osent faire des Szenen aus Goethes Faust un spectacle, alors qu’il s’agit d’une œuvre de concert. Ainsi Julian Rosefeldt a-t-il imaginé, pour l’Opera Vlaanderen, une version scénique d’une partition que Schumann n’a jamais conçue sur un plan théâtral : comme son titre l’indique, c’est une suite de scènes, certes admirables, mais sans continuité dramatique. C’est pourquoi, sans doute, Julian Rosefeldt a pris pour parti de ne pas raconter.

Son propos tient presque tout entier sur un écran gigantesque, où est d’abord présenté un résumé (écrit) du mythe, à l’occasion duquel on apprend que Faust était « un capitaliste, un colonialiste et un seigneur de guerre ». Puis sont projetées des images du cosmos (sans doute pour nous convaincre de la petitesse de l’homme face à l’infini), que viennent animer des objets divers, tels qu’un os ou un établi (sans doute pour nous dire combien est vaine notre prétention à la connaissance), avant qu’apparaissent des planètes (sans doute pour nous rappeler les angoisses métaphysiques de Schumann). On se retrouve, ensuite, devant des paysages de dune et, enfin, au fond des bois, parmi une foule d’individus euphoriques, filmés au ralenti : le salut ne se trouve-t-il pas, pour les romantiques allemands, au sein de la forêt ?

Sur le plateau, alors que l’attention du public est obnubilée par ces images envahissantes, le spectacle est on ne peut plus simple : il se situe dans une salle de répétition pour danseurs. Choristes et solistes font des étirements et des exercices d’échauffement, puis Faust, Gretchen et les autres se mettent à chanter au premier plan, ce qui permet de les entendre clairement.Au bout d’un moment, comme le vestiaire est installé au fond de la scène, tout le monde troque ses vêtements contre des costumes sombres, tout en continuant d’agiter les bras, comme s’il s’agissait de mimer un ballet imaginaire. L’un des rares instants poignants de cette chorégraphie indécise est celui, lors de la mort de Faust, où le chœur d’enfants imite les gestes du héros, comme si l’âme de ce dernier s’éparpillait avant de s’abolir dans le néant.

On ne comprend guère le propos de Julian Rosefeldt, sinon qu’il s’agit de chanter la paix entre les hommes et l’harmonie avec la nature. Mais l’essentiel est ailleurs : dans la musique. La partition a quelque chose d’insoumis ; elle ne raconte pas une histoire, on l’a dit, elle juxtapose des moments, des situations, des humeurs, avec un mélange de tendresse et de violence rentrée qui la rend insaisissable, à moins de la comprendre de l’intérieur.

C’est manifestement le cas de Philippe Herreweghe, qui nous livre une preuve magnifique de son intimité avec la musique de Schumann – il a enregistré Szenen aus Goethes Faust, en 1998, pour Harmonia Mundi. Sous sa direction, l’orchestre est extraordinaire de plénitude, de relief, de couleur (les cordes moelleuses, les cors majestueux, le hautbois lyrique). Il ne s’agit pas de La Chapelle Royale et de ses instruments historiques, mais de l’Orchestre Symphonique d’Anvers (Antwerp Symphony Orchestra), qui parvient à remplir l’espace entier du théâtre sans jamais écraser les chanteurs.

Ceux-ci possèdent de jeunes et belles voix caractérisées. Le baryton autrichien Rafael Fingerlos est un Faust élégant, au timbre clair, et le baryton-basse américano-britannique Sam Carl, un Mephistopheles dont les interventions épisodiques ne font pas un personnage vraiment maléfique. Schumann a surtout conçu son rôle par contraste avec celui d’Ariel, chanté ici, avec mille nuances, par le ténor autrichien Ilker Arcayürek.

Les voix féminines se ressemblent davantage, mais la soprano australienne Eleanor Lyons est une Gretchen lumineuse. On est heureux de retrouver Lore Binon, qu’on avait pu entendre, au même endroit, lors de la création mondiale de The Convert, de Wim Henderickx, en mai dernier. Quant aux chœurs, ils réunissent les forces de l’Opera Vlaanderen, jointes à l’ensemble Collegium Vocale de Gand, fondé par Philippe Herreweghe. Fusion et ferveur sont les mots qui viennent spontanément à l’esprit, pour définir une prestation qui concourt à la splendeur musicale de cette soirée.

La production sera reprise, en mai 2023, par l’Opéra Orchestre National Montpellier, sous la direction de Michael Schonwandt. On espère que ce dernier pourra, à son tour, transcender par la musique l’abstraction un peu vaine du spectacle.

CHRISTIAN WASSELIN


© OPERA BALLET VLAANDEREN/ANNEMIE AUGUSTIJNS

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