Opéras Samson musicalement somptueux à Londres
Opéras

Samson musicalement somptueux à Londres

07/06/2022

Royal Opera House, Covent Garden, 29 mai

Sans doute était-ce un pari audacieux, de la part du Covent Garden, que de confier Samson à Nicky Spence, talent en pleine maturation, et moyens, sinon déjà colossaux, du moins plus que prometteurs. Après s’être cassé les deux jambes, le ténor britannique a dû renoncer à relever le défi de succéder aux monstres sacrés – Jon Vickers, puis Placido Domingo, et, dans une moindre mesure, José Carreras et José Cura – ayant, sur cette même scène, au fil des quatre dernières décennies, marqué le rôle de leur profonde empreinte.

En jetant son dévolu sur SeokJong Baek, le Royal Opera House n’a pas manqué de persister sur la voie du risque. Baryton aux prémices de sa jeune carrière, bardé de prix prestigieux depuis son changement de tessiture, le ténor coréen débutait quasiment sur tous les tableaux… et a fait, dans la cour des grands, une entrée remarquable, plutôt que fracassante. Car pas un instant, l’interprète, mieux, le musicien ne cède, pour prouver ce dont il est capable, à la tentation de l’héroïsme.

L’éclat du bronze, jamais artificiellement assombri, sait se tempérer de fines nuances, comme l’aigu, trouver dans la voix mixte des ressources d’allégement, pour mieux taper dans le mille, longuement tenu et insolent, au moment fatidique. Une diction, appliquée certes, mais intelligible, et une présence – qui, peut-être, deviendra du charisme – à la hauteur de l’enjeu, dès lors que son éminente partenaire ne l’écrase pas… Quel privilège, décidément, de découvrir un tel potentiel dans des conditions aussi favorables – et avant que cette terrible machine à broyer qu’est, parfois, le circuit international n’ait commencé à l’entamer !

Le baryton-basse polonais Lukasz Golinski a beau avoir davantage d’expérience, il reste assez commun en Grand Prêtre, à cause, peut-être, d’une langue qui, sans qu’il la maltraite trop, ne met pas en valeur les qualités d’un instrument bien campé. Dans un français nettement plus naturel, le Congolais Blaise Malaba fait, en moins de temps qu’il n’en faut à Abimélech pour succomber, plus forte impression, tandis que le Géorgien Goderdzi Janelidze finit par trouver, par la sérénité de la ligne, le creux du Vieillard hébreu, à défaut de vénérable sagesse.

Belle à damner un saint, en dépit d’un imprimé « flower power » assez douteux, puis d’une robe entre Mata Hari et Dalida période Paradisco, Elina Garanca adopte, en guise de « Danse des prêtresses de Dagon », le déhanché ensorceleur d’une Carmen « près des remparts de Séville ». La mezzo-soprano lettone conserve, de l’extrême grave – poitriné sans modération, ni complaisance – à l’aigu – dont pas même le culte clinquant de Dagon ne réchauffe l’éblouissante lumière –, cette distinction propre à sa Dalila, créature aussi somptueuse que redoutable.

La lecture d’Antonio Pappano est, en un sens, à son image. Sans jamais chercher à contrefaire une transparence censément française, ni, au contraire, plonger l’opéra en forme d’oratorio de Saint-Saëns dans des abîmes wagnériens ou assimilés, le directeur musical du ROH tire de l’orchestre, à la palette jamais aussi riche que sous sa baguette, des effluves capiteux, et néanmoins imperméables à toute vulgarité, confirmant un instinct stylistique hors du commun – à moins qu’il ne réussisse à faire passer pour telle sa connaissance. Préparé par William Spaulding, le chœur ne mérite pas moins de lauriers, d’autant plus saisissant, quand il atteint sa pleine puissance, qu’il fait d’abord entendre sa prière depuis les coulisses.

Quel que soit l’ouvrage, le travail de Richard Jones est immédiatement reconnaissable. Pragmatique, fonctionnel, lisible, sans plus de coquetterie qu’une esthétique évoquant la bande dessinée, ligne claire et couleurs tranchées. Arborant sur son uniforme l’effigie clownesque d’un dieu du jeu, la soldatesque, aux ordres d’un Grand Prêtre chef militaire plus que religieux, s’oppose aux croyants vêtus de sombre, dans un conflit que le schématisme austère de la scénographie évite de situer géographiquement.

Trop occupé à assurer le show, au second tableau du troisième acte, le metteur en scène britannique tend à oublier les protagonistes, alors même qu’il n’arrive pas à la cheville de Barrie Kosky et de son chorégraphe Otto Pichler, dont le public londonien a pu goûter le génie en la matière dans Le Nez de Chostakovitch, lorsqu’il s’agit de régler un numéro de danse en ligne pendant la « Bacchanale ».

Le ratage, comme neuf fois sur dix, de l’effondrement du temple, réduit au timide affaissement de quelques poutres, s’ajoute à ces griefs, sans peser davantage, face aux appâts vocaux, choraux et orchestraux de la production.

MEHDI MAHDAVI


© ROH/CLIVE BARDA

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