3 CD Oehms Classics OC 980

Dommage que, de cette splendide production de Der ferne Klang (Le Son lointain), à l’Opéra de Francfort, en mars-avril 2019 (voir O. M. n° 150 p. 39 de mai), on n’ait choisi de garder qu’une trace exclusivement sonore.

Car la mise en scène de Damiano Michieletto, aussi aboutie techniquement qu’extrêmement analytique dans la caractérisation des personnages, aurait vraiment mérité d’être immortalisée. À défaut, on bénéficie, comme toujours dans les enregistrements effectués sur le vif par Oehms Classics, d’une très bonne transparence de prise de son qui, à maints endroits, laisse deviner l’émotion de la scène, à défaut d’avoir tout à fait la dynamique spectaculaire de séances en studio.

Grâce à cette présence dramatique, cette sixième édition en CD du chef-d’œuvre de Franz Schreker (1878-1934) surpasse assez nettement les autres, que ce soit l’excellent enregistrement radiophonique de Gerd Albrecht, en 1990, chez Capriccio, ou les différents documents sur le vif, publiés parallèlement. Le couple central, notamment, s’y incarne avec une intensité unique : Jennifer Holloway, moyens de vraie wagnérienne, mais flexibilité intacte en Grete, et Ian Koziara, moins solide vocalement, mais passionné et très crédible dans les élans idéalistes de Fritz. Un couple, rappelons-le, qui ne se retrouve vraiment qu’à l’extrême fin, quand il est trop tard, pour mieux nous bouleverser.

Autour, l’affiche est idéale : un véritable ensemble, où chaque rôle est distribué avec soin, voire une crédibilité physique qu’évidemment, on ne perçoit pas ici. Encore que… les silhouettes aristocratiques de l’acte de Venise, les portraits de genre des scènes domestiques initiales, tout reste d’une palpable présence. Avec, bien sûr, le « plus » de Nadine Secunde en Vieille Femme, vocalement plus que délabrée, mais d’une incroyable force de caractérisation.

De vrais atouts, donc, valorisés par un orchestre fin et enveloppant à souhait, sous la direction de Sebastian Weigle, toujours orfèvre en la matière. De quoi redonner toutes ses chances à un ouvrage mal-aimé qui, joué avec autant d’intensité vibrante, ne peut laisser personne indifférent.

Un très grand moment historique de l’Opéra de Francfort, avec ce brillant retour de Der ferne Klang, à un peu plus d’un siècle de distance, dans la ville de sa création triomphale, le 18 août 1912.

LAURENT BARTHEL

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