Frédéric Caton (Le Chef des Peuples, Licas, Hécate) – Virginie Pochon (Vénus, Dorine) – Marie Lenormand (L’Amour, Témire) – Emöke Barath (Scylla) – Anders J. Dahlin (Glaucus) – Caroline Mutel (Circé)

Les Nouveaux Caractères, dir. Sébastien d’Hérin

3 CD Alpha 960

En 1746, Jean-Marie Leclair (1697-1764), surtout connu comme violoniste et compositeur d’œuvres instrumentales, fait représenter Scylla et Glaucus, son premier et unique opéra, à Paris. À rebours de nombreux ouvrages de l’époque, l’intrigue est simple : la nymphe Scylla n’aime pas Glaucus, qui demande à Circé de l’aider à la conquérir. Mais la magicienne tombe elle-même amoureuse du héros et élimine sa rivale, la transformant en monstre marin. Avec cela, on tient deux heures quarante.

Les critiques de l’époque se montrent plutôt favorables – à juste titre, tant Leclair est parvenu à équilibrer les éléments traditionnels de l’opéra lullyste avec les modes d’expression nouveaux. Quelques représentations sont ensuite proposées à Lyon, ville natale du compositeur, puis tout s’arrête jusqu’en 1909, où l’on rejoue quelques extraits.

En 1979, John Eliot Gardiner exhume Scylla et Glaucus en concert, puis, sept ans plus tard, en version scénique (toujours à Lyon !), avec un disque à la clé, qui n’est pas sans atouts : qualité des voix solistes et de la sonorité des English Baroque Soloists, beauté du Monteverdi Choir (Erato). Le 4 novembre 2014, enfin, Sébastien d’Hérin et Les Nouveaux Caractères reprennent l’ouvrage en concert, à Versailles (voir O. M. n° 101 p. 66 de décembre), en conclusion de sessions d’enregistrement en studio.

La comparaison des deux versions montre tout ce qui a changé, en trente ans, dans la manière d’aborder cette musique – sans même parler de la prise de son, nettement meilleure dans le nouveau coffret. Chez Alpha, tout sonne plus libre, plus naturel, plus vivant, plus vécu, dans l’interprétation vocale comme dans les parties d’orchestre, sans doute l’aspect le plus intéressant de Scylla et Glaucus.

Ici, les nombreuses danses sont vraiment « dansantes » et les couleurs de l’orchestre, à la fois sensuelles et raffinées, n’ont rien d’empesé. À la fin de l’acte V, par exemple, l’orchestre joue une extraordinaire symphonie « pour exprimer les aboiements de monstres qui environnent Scylla et les gouffres ». John Eliot Gardiner y paraît presque pataud, comparé avec le feu d’artifice de sonorités étranges et grinçantes, envoyées par Sébastien d’Hérin.

Emöke Barath possède un beau timbre, une émission élégante et une voix plus charpentée que celle de Donna Brown, titulaire du rôle de Scylla chez Erato. Mais sa diction confuse nous empêche de comprendre ce qu’elle chante.

Anders J. Dahlin est également un modèle d’élégance en Glaucus, avec une voix haut placée, bien projetée et très souple, qui lui permet de faire preuve d’agilité dans les vocalises. Son style d’émission est également plus proche de ce que doit être une haute-contre à la française que ne l’était celui d’Howard Crook, avec Gardiner. Sa prononciation, enfin, est très correcte (davantage d’ailleurs que pendant le concert versaillais).

En Circé, Caroline Mutel fait preuve d’un plus grand engagement et d’une meilleure caractérisation dramatique que Rachel Yakar (Erato). Mais ses moyens ne lui permettent pas tout à fait d’atteindre la grandeur maléfique de son personnage. Les rôles secondaires, dans l’ensemble, sont bien tenus.

En somme, une réalisation très satisfaisante, surtout pour les chœurs et l’orchestre, qui surclasse la version Gardiner/Erato.

JACQUES BONNAURE

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