Entre Gluck et Meyerbeer, entre la « tragédie lyrique » et le « grand opéra », Gaspare Spontini (1774-1851) occupe une position inconfortable. Sa brillante carrière qui, après l’Italie, s’est poursuivie à Paris, puis à Berlin, a été éclipsée par celle de Rossini, de dix-huit ans son cadet, et l’admiration que lui a portée Berlioz n’a pas suffi à lui assurer une place de premier plan aux yeux de la postérité.

Seule La Vestale (Paris, 1807) surnage vraiment au sein d’une production abondante et variée. Fort heureusement, ressortent aujourd’hui, dans les salles ou grâce au disque, certains de ses titres oubliés et, chaque fois, se précise un peu mieux la personnalité de ce musicien novateur, mais trop souvent prisonnier de son époque.

Alors qu’il est le compositeur favori de Napoléon Ier, commande lui est faite d’un nouvel opéra devant marquer le début de la guerre d’Espagne. C’est ainsi que l’image idéalisée de l’Empereur prend les traits de Fernand Cortez (Hernan Cortés), le conquistador du Mexique, au XVIe siècle. Sur ce sujet devenu hautement politique, Étienne de Jouy et Joseph-Alphonse d’Esménard imaginent une intrigue assez faible, qui ne donne de relief ni aux personnages principaux, ni aux événements évoqués.

Au lendemain de la première (Paris, Académie Impériale de Musique, 28 novembre 1809), tout au plus retient-on l’interprétation de Caroline Branchu (Amazily) et, plus encore, les grands moyens scéniques mis en œuvre, avec, en particulier, l’apparition spectaculaire de chevaux, à la fin du premier acte. Quant à l’accueil du public, il est loin d’être enthousiaste. Par la suite, Spontini remettra Fernand Cortez plusieurs fois sur le métier, l’ouvrage finissant par trouver sa place sur les grandes scènes européennes, ainsi qu’à New York.

Après la Seconde Guerre mondiale, Fernand Cortez réapparaît de manière très sporadique, ce dont témoignent deux enregistrements sur le vif, en italien, dirigés respectivement par Gabriele Santini (1951, avec Gino Penno et Renata Tebaldi, Hardy Classic) et Lovro von Matacic (1974, avec Bruno Prevedi et Angeles Gulin, On Stage). En 1998, il est enregistré pour la première fois en studio, enfin dans l’original -français, sous la baguette de Jean-Paul Penin, avec Melena Marras et Cécile Perrin (Accord).

Le DVD Dynamic offre l’écho de deux représentations données à Florence, en octobre 2019 (voir O. M. n° 156 p. 42 de décembre). Il a pour principal mérite de s’appuyer sur la révision critique de Federico Agostinelli, effectuée sur la toute première version de l’opéra, en 1809. Ce beau travail de restauration ne parvient cependant pas à masquer les faiblesses de l’ouvrage, avec ses incohérences dramatiques et ses nombreux « tunnels ».

Jean-Luc Tingaud fait de son mieux pour mettre en valeur ce qui, dans la partition, fait preuve d’originalité. La distribution dont il dispose, bien que solide et homogène, est loin, comme le remarquait Paolo di Felice dans son compte rendu du spectacle, d’être à la hauteur de l’enjeu. Au lieu d’interprètes rompus au style de Gluck, nous entendons des chanteurs coutumiers d’un style vocal plus tardif, qui ont du mal à retrouver les accents, le phrasé et la noblesse nécessaires.

On n’en remarque pas moins le bel engagement dramatique d’Alexia Voulgaridou en Amazily, ainsi que la prestation honnête, sinon excitante, de Dario Schmunck dans le rôle-titre. Si Gianluca Margheri sert plutôt bien le personnage de Moralez, il n’en va pas de même pour Luca Lombardo, qui n’offre à Télasco qu’une voix fatiguée.

Jouant sur l’opposition entre les sombres armures des conquérants et les vives couleurs des vêtements mexicains, la prudente mise en scène de Cecilia Ligorio évite une relecture sommaire. Les nombreux ballets, en revanche, sont plus discutables.

Pouvait-on faire mieux pour ce Fernand Cortez qui, à nos yeux, constitue davantage un jalon dans l’histoire de l’opéra qu’un point d’orgue dans la carrière d’un compositeur de talent ?

PIERRE CADARS

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