Opéras Une Traviata se révèle à Limoges
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Une Traviata se révèle à Limoges

10/02/2022

Opéra, 6 février

Il est des prises de rôles qui font d’une promesse un accomplissement. Tel est le cas d’Amina Edris, pour ses débuts en Violetta, dans la nouvelle production de La traviata, à l’Opéra de Limoges. L’attente était grande, après ses Manon et Alice (Robert le Diable) très remarquées, à l’Opéra National de Bordeaux, et c’est peu dire qu’elle a été comblée.

La voix, d’abord : timbre corsé, charnu, ravissant de rondeur ; émission homogène, souple et naturelle. Mais, plus encore, sa conduite : grâce à sa technique impeccable et à sa musicalité, la soprano égypto-néo-zélandaise est aussi à l’aise dans les envolées virtuoses que dans les abandons lyriques, toujours émouvants et exempts de pathos. L’interprète séduit par le soin qu’elle apporte à chaque note, sans rien perdre de sa spontanéité. Stylée jusque dans la déclamation, elle s’exprime, de surcroît, dans un italien tout à fait honorable.

On peut espérer qu’à force de fréquenter le rôle, Amina Edris parviendra à conquérir le seul atout qu’il lui reste à mûrir : la puissance dramatique. Cela passera par une articulation plus mordante, gage de vérité théâtrale, mais aussi par un supplément de lâcher-prise dans les moments cruciaux, où l’héroïne doit succomber au désespoir face à la tragédie de l’injustice et de la maladie. Il n’en reste pas moins que la réussite est totale, saluée par une ovation.

Ses partenaires n’évoluent pas sur les mêmes cimes. Si les seconds rôles sont globalement à la hauteur, le ténor maltais Nico Darmanin déçoit en Alfredo. Question d’émission, souvent forcée, et de timbre, claironnant et léger ; mais aussi d’un phrasé prosaïque, qu’une diction irréprochable peine à compenser.

Bien plus convaincant, le Giorgio Germont de Sergio Vitale, remplaçant au pied levé Francesco Landolfi, testé positif au Covid, juste avant la générale. C’est surtout lors du grand duo avec Violetta, au II, que le baryton italien s’illustre, crédible en père arrogant et autoritaire, idéalement servi par sa prestance physique et sa solidité vocale, que seule une palette réduite rend un peu monolithique.

Ce duo est aussi l’un des moments où Robert Tuohy, au pupitre, trouve la respiration la plus juste, avec un remarquable équilibre entre mordant et souplesse. Reposant sur l’excellente qualité de l’Orchestre (en effectif réduit, pour cause de contraintes sanitaires) et du Chœur de l’Opéra de Limoges, le chef irlando-américain offre une lecture alerte et sensible de la partition.

Côté visuel, en découvrant la note d’intention de Chloé Lechat, on pouvait craindre une lecture idéologique des plus naïves. La jeune réalisatrice franco-suisse y laissait présager une Traviata attaquant « le système dominant-dominée, induit par la structure patriarcale ». En fait, le propos est à peine esquissé sur scène : jeu limité aux gestes habituels, et transposition des lieux sans surprise – Violetta vit dans une maison moderne surplombant la mer et se fait soigner dans un sanatorium.

C’est plutôt aux apparitions de deux personnages féminins, étrangers au livret, qu’il revient de suggérer le concept : la sœur d’Alfredo, interprétée par une actrice en robe de mariée qui, rongée de culpabilité vis-à-vis de Violetta, introduit les deux premiers actes par de brefs monologues sur la domination masculine et le malheur des femmes ; et sa grand-mère, jouée par une comédienne en fauteuil roulant, imperturbable garante de l’ordre patriarcal régnant dans la famille Germont.

Tout cela ne vient pas vraiment bousculer l’intrigue, si bien qu’on en reste à un stade essentiellement illustratif, où la part belle est faite au raffinement des décors et des costumes davantage qu’aux idées. Pour autant, une trouvaille marque les esprits, au III, sorte de clin d’œil au début de La Dame aux camélias : lorsque Violetta dit adieu à ses rêves passés, d’anciens « amis » viennent visiter sa riche collection de chaussures mises aux enchères, indifférents à son agonie, seulement en quête d’une bonne affaire.

C’est alors qu’on est saisi de compassion pour la malheureuse, que l’on voit d’emblée victime, peut-être moins d’une structure sociale que d’un vice individuel : le cynisme.

PAOLO PIRO


© STEVE BAREK

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