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Vêpres algériennes à Berlin

07/04/2022

Deutsche Oper, 3 avril

C’est au Deutsche Oper qu’Olivier Py poursuit son parcours verdien, avec Les Vêpres siciliennes (Paris, 1855), l’un des plus français des opéras du compositeur. Mais, plus encore que le lieu de création de l’œuvre ou la langue originale (d’ailleurs mise à mal par la plupart des interprètes), c’est la France comme puissance coloniale qui intéresse le metteur en scène.

Le rideau qui accueille les spectateurs, à leur entrée dans la salle, est la reproduction d’une vignette dessinée en couleurs ; elle montre le très controversé colonel Lucien de Montagnac, pendant la conquête de l’Algérie, exerçant sa brutalité sur les populations locales, qu’illustre sa phrase : « Pour chasser les idées qui m’assiègent parfois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais bien des têtes d’hommes. » Pendant l’Ouverture, le rideau se lève et découvre une scène identique, où le gouverneur Guy de Montfort fait exécuter des patriotes siciliens, dont le frère d’Hélène, sous ses yeux.

Tout au long de la soirée, les éléments visuels entretiendront ainsi une assimilation entre Algérie et Sicile, mais aussi entre les siècles, XIXe (les uniformes rouge et bleu des conquêtes coloniales) et XXe (les tenues kaki de la guerre d’Algérie). Les éléments de décors caractéristiques du travail de Pierre-André Weitz (briques anthracite), agencés de façon virtuose sur une tournette permettant une variété infinie de changements à vue, intègrent des photos, en noir et blanc, d’une ville dans les années 1950, mais c’est bien d’Alger, et non de Palerme, qu’il s’agit.

Outre quelques autres coupures, effectuées pour ramener la soirée à trois heures de musique, le spectacle ne garde du « Ballet des Quatre Saisons », au troisième acte, que le seul « Hiver » – déplacé au début du quatrième, il sert de toile de fond à une pantomime de scènes de la vie quotidienne dans la Sicile occupée, telle une partie de football entre soldats. Et si une quinzaine de danseurs figurent au générique, c’est comme figurants : un prêtre, la Mort… et, surtout, une mère poussant un landau, référence récurrente au lien filial unissant Henri et Montfort.

Si l’on accepte de se raccrocher aux surtitres (allemands et anglais) pour comprendre de quoi il est question, on peut accorder un satisfecit général, et même enthousiaste, au quatuor principal. Coup de chapeau, d’abord, au Procida de la basse italienne Roberto Tagliavini, non seulement pour la qualité de son français, mais aussi pour sa façon de concilier la rigueur de son personnage et le legato de son chant. Son « Et toi, Palerme » est l’un des sommets attendus de la soirée.

Remarquable aussi, quoique d’une diction moins emblématique, le Montfort du baryton américain Thomas Lehman, l’un des piliers de la troupe du Deutsche Oper. Olivier Py fait d’Hélène le centre de son récit, et Hulkar Sabirova lui prête de très beaux moyens. Certes, on décèle chez la soprano ouzbèke le travers de nombre de chanteurs de l’Est, qui privilégient souvent le son sur le mot, mais l’intonation est impeccable, la technique éprouvée et, surtout, l’homogénéité et l’égalité de projection entre les registres sont impressionnantes.

Reste l’Henri de Piero Pretti, assurément le moins compréhensible et acteur plutôt maladroit. Mais le timbre du ténor italien est superbe, et ses phrasés sont soignés.

Dans la fosse, l’excellent Enrique Mazzola porte la soirée à bout de bras. Il exacerbe les contrastes, témoigne d’un sens dramatique constant, nous émerveillant autant par le cocon qu’il façonne dans les moments intimistes que par le sens du grandiose dont il sait faire preuve, quand la partition le requiert.

NICOLAS BLANMONT


© MARCUS LIEBERENZ

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