Depuis sa création, en 1913, l’unique opéra de Gabriel Fauré offre le prototype du chef-d’œuvre jamais complètement tombé dans l’oubli, mais incapable de s’inscrire durablement au répertoire, malgré les efforts d’ambassadrices aussi prestigieuses que Lucienne Bréval, Germaine Lubin, Régine Crespin ou Jessye Norman. Son retour au Théâtre du Capitole de Toulouse, le 23 octobre, dans une inattendue « version originale pour piano », avec Anne Le Bozec à la direction musicale et Catherine Hunold dans le rôle-titre, est l’occasion de revenir sur cette partition inclassable, et de s’attarder sur les vicissitudes de l’épouse d’Ulysse dans d’autres formes d’expression artistique.

À la différence du Pelléas et Mélisande de Claude Debussy qui, depuis sa création, en 1902, n’a presque jamais quitté l’affiche des théâtres, la plupart des opéras français du début du XXe siècle, composés pourtant par des musiciens de renom, peinent encore à trouver un public. La liste serait longue de ces ouvrages d’abord accueillis avec les égards dus à leur rang, qui ne survivent aujourd’hui que sous perfusion : Le Roi Arthus d’Ernest Chausson (1903), L’Étranger de Vincent d’Indy (id.), Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas (1907), Monna Vanna d’Henry Février (1909), Bérénice d’Albéric Magnard (1911), Mârouf, savetier du Caire d’Henri Rabaud (1914)… Leur résurrection, quand elle survient, ne dure guère plus d’un ou deux soirs. Par miracle, il en reste parfois un enregistrement.

Comment expliquer de tels revers de fortune ? Est-ce leur musique qui ne nous touche plus, la faute à des livrets démodés, ou l’absence d’interprètes capables désormais de leur rendre justice ? Ne faut-il pas y voir aussi la marque d’un divorce déjà ancien entre ce que la France proposait de meilleur, en ce début de siècle, et ce qui, ailleurs dans le monde (en Allemagne, par exemple, avec Richard Strauss), témoignait de la vitalité d’un « nouvel » art lyrique, libéré de trop pesantes amarres ? Voilà autant de questions que l’on peut se poser à propos de Pénélope, incapable de s’imposer durablement sur les affiches depuis la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant, si l’on excepte la musique de scène pour Prométhée (Arènes de Béziers, 1900), il s’agit de l’unique opéra de Gabriel Fauré (1845-1924), dont le Requiem, les mélodies, la musique de chambre et symphonique demeurent des piliers des programmes de concert à travers le monde. Le Théâtre du Capitole de Toulouse s’apprête à lui redonner sa chance, avec une « version originale pour piano » (ainsi l’annonce le programme). Est-ce une manière de réveiller en douceur un chef-d’œuvre assoupi ?

Pénélope, « poème lyrique en trois actes », voit le jour à l’Opéra de Monte-Carlo, le 4 mars 1913, sous la direction musicale de Léon Jehin, avec Lucienne Bréval (Pénélope) et Charles Rousselière (Ulysse). Deux mois plus tard, le 10 mai, Paris l’accueille dans un Théâtre des Champs-Élysées flambant neuf, sous la baguette de Louis Hasselmans, avec toujours Lucienne Bréval en Pénélope, mais Lucien Muratore en Ulysse. À la Monnaie de Bruxelles, le 1er décembre de la même année, Claire Croiza s’impose dans le rôle-titre. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le 20 janvier 1919, Pénélope fait une entrée royale au répertoire de l’Opéra-Comique, grâce à Germaine Lubin et, de nouveau, Charles Rousselière, sous la direction musicale de François Ruhlmann. Elle y sera donnée cinquante-trois fois jusqu’en 1931, avec notamment Claire Croiza (1924) et Suzanne Balguerie (1927, 1931).

En dehors de Paris, Rouen (dès 1914), Strasbourg, Nice, Lyon ou les Chorégies d’Orange (le 30 juillet 1923, avec Germaine Lubin et Lucien Muratore, sous la baguette de Gabriel Pierné) tentent de maintenir à l’affiche une œuvre qui rencontre, comme l’écrira plus tard René Dumesnil, un « même enthousiasme des musiciens au soir de la première, une même indifférence du grand public dès la quatrième ou cinquième représentation » (Le Monde, 21 février 1949). Le 14 mars 1943, en pleine Occupation, Pénélope est jouée pour la première fois dans son intégralité au Palais Garnier, avec Germaine Lubin (Pénélope), Suzanne Lefort (Euryclée), Georges Jouatte (Ulysse), Paul Cabanel (Eumée) et Charles-Paul (Eurymaque). François Ruhlmann est à la tête de l’orchestre ; Pierre Chéreau signe la mise en scène.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 165

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