Comme on pouvait s’y attendre, théâtres et maisons de disques ne laissent pas passer l’occasion de fêter le « roi de l’opérette », en cette année où l’on célèbre le bicentenaire de sa naissance (Cologne, 20 juin 1819). La France se distingue tout particulièrement dans les semaines qui viennent, avec trois temps forts : la résurrection de Maître Péronilla (1878), au Théâtre des Champs-Élysées, en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane, le 1er juin ; une nouvelle production de Barbe-Bleue (1866), à l’Opéra de Lyon, le 14 juin ; et, également dans une nouvelle mise en scène, le retour à l’affiche de Madame Favart (1878), à l’Opéra-Comique, le 20 juin. L’occasion, pour Opéra Magazine, de parcourir, à travers les témoignages sonores et visuels parvenus jusqu’à nous, les étapes marquantes de l’évolution de l’interprétation de l’un des compositeurs les plus malmenés et incompris de l’histoire de l’art lyrique.

Il n’est guère de présentation d’Offenbach ou de l’une de ses œuvres qui ne commence par une nécessaire mise au point. L’opérette n’était pas son seul domaine. Il n’était pas le simple amuseur que l’on a voulu voir en lui et son rayonnement n’est pas lié seulement aux fastes du Second Empire. La renommée durable de plusieurs de ses succès d’alors ne doit rien laisser ignorer des éclipses qui sont venues par la suite. On le voulait léger ; on le croyait facile. À la portée des voix les plus bancales, pourvu qu’elles aient un minimum de charme. À la merci d’orchestres et de mises en scène qui tentaient de s’encanailler en sa compagnie. Dans la monumentale biographie qu’il lui a consacrée (Gallimard, 2000), Jean-Claude Yon ne peut que constater que « la vie posthume d’Offenbach est aussi mouvementée et discutée que l’a été sa carrière ».

Tandis que l’on fête le bicentenaire de sa naissance, peut-on dire qu’il bénéficie enfin de tous les égards qu’il mérite ? À côté de réussites incontestables, certaines « relectures » ou « adaptations », toujours fréquentes dans les théâtres, en France et ailleurs, n’en continuent pas moins de dénaturer sa musique. Pour la plupart de ses ouvrages, qui ont connu de multiples remaniements, quelle version faut-il choisir ? Quel regard nouveau peut-on porter sur eux ? Quel type de chanteurs est-il préférable d’engager ? De grandes voix ? D’habiles comédiens ? Quel sort doit-on réserver aux indispensables passages parlés ? Autant de questions que l’on retrouve à travers toute la discographie et toute la vidéographie d’une œuvre aussi riche que diverse, où il reste encore bien des zones à explorer et certainement pas mal de trésors à exhumer.

Cette quête débute par l’exhumation d’enregistrements anciens, qui, malgré les imperfections de leur technique, témoignent de ce qu’était encore, dans la première moitié du siècle dernier, l’héritage du chant offenbachien. De nombreux airs séparés, duos et ensembles ont été gravés alors par de grands noms du théâtre lyrique, comme par des étoiles plus modestes, venues du cabaret ou du café-concert. Faisant suite à une première anthologie, effectuée en Hongrie et éditée aux États-Unis, sous le titre Tales of Offenbach (2 CD, Club 99), Laurent Fraison a proposé, en 1992, un choix particulièrement ingénieux parmi les Trésors phonographiques de Jacques Offenbach (3 CD, Music Memoria), choix réédité six ans plus tard, avec quelques légers changements et, surtout, un disque entier consacré aux Contes -d’Hoffmann (4 CD, Forlane). Le texte de présentation rappelle opportunément à « ceux qui estiment que ces interprétations ont vieilli… le principe selon lequel des interprétations récentes connaîtront le même sort ».

Même si la restauration d’enregistrements acoustiques datant de 1903 ne peut pas produire de miracles, les quatre airs qu’interprète Juliette Simon-Girard ont une valeur historique et sentimentale évidente. Vingt-cinq ans auparavant, elle avait créé Madame Favart, dont elle reprend ici la « Ronde des vignes ». Bien que l’âge ait infligé quelques rides à sa voix, ses interprétations de La Grande-Duchesse de Gérolstein, de La Jolie Parfumeuse et de Maître Péronilla laissent entrevoir ce que le compositeur attendait de ses chanteurs. Il y a là un ton, une diction, une classe, une grâce, que l’on retrouve chez la plupart de ceux qui sont réunis dans ce florilège. Avec certes, ici et là, une affectation quelque peu désuète, mais qui pourrait penser qu’Offenbach s’accommode d’un chant exempt de toute sophistication ?

Après la Première Guerre mondiale, lorsque ce répertoire lié au Second Empire et aux débuts de la Troisième République est en passe d’être négligé, il se trouve encore des artistes renommés pour en conserver la mémoire. Quelques titres surnagent, comme La Vie parisienne, La Belle Hélène ou La Périchole, mais il arrive que des ouvrages moins connus survivent, ne serait-ce que par un air ou par un duo. En 1932, Madeleine Renaud et Pierre Bertin prennent ainsi un évident plaisir à endosser, pendant quelques minutes, les costumes alsaciens de Lischen et Fritzchen. En 1927, Reynaldo Hahn s’accompagne au piano pour détailler, avec une gouaille souveraine, un trop bref extrait de La Boulangère a des écus. En première ligne, se découvrent les témoignages exemplaires d’Edmée Favart, d’Emma Luart, de Fanély Revoil et d’Yvonne Printemps, qui triomphaient alors sur les plus grandes scènes.

Côté masculin, comment ne pas s’attacher au « Rondo du Brésilien » (La Vie parisienne) et aux « Couplets du caissier » (Les Brigands), quand ils bénéficient des talents reconnus de Félix Oudart et de Dranem ? En fait, tout serait à citer dans ces rééditions, effectuées avec autant de passion que de soin. Lorsque Otto Klemperer dirige l’Ouverture de La Belle Hélène (à Berlin, en 1929), que Jussi Björling chante, en -suédois, l’air de Pâris ou que la Périchole devient russe par la voix de Claudia Novikova, il n’est plus possible, comme le note Laurent Fraison, de douter de « l’universalité du génie d’Offenbach ».

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 150

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