Jean-Louis Grinda. © DR

Arrivé plus tôt que prévu à la tête du prestigieux festival, juste avant l’édition 2016, Jean-Louis Grinda propose, du 20 juin au 4 août, la première programmation entièrement de sa main. Au menu, Mefistofele et Il barbiere di Siviglia, deux titres que l’on ne s’attendait pas à voir affichés au Théâtre Antique, ainsi qu’une multitude de manifestations parallèles, allant du récital au ciné-concert. Le nouveau directeur, dont on connaît l’infatigable dynamisme, mise sur le renouvellement et la diversification de l’offre, ainsi que sur la baisse du prix des places et le récent changement de statut juridique, pour relancer une manifestation plombée par ses difficultés financières. Mefistofele et Il barbiere di Siviglia plutôt que Carmen et Aida, le pari n’est pas sans risques. Mais comment, s’agissant de tels chefs-d’œuvre, ne pas avoir envie de le soutenir, surtout avec des chanteurs du calibre de Béatrice Uria-Monzon, Erwin Schrott, Jean-François Borras, Olga Peretyatko, Florian Sempey ou Michael Spyres ?

Manifestement comblé à l’Opéra de Monte-Carlo, qu’êtes-vous venu faire dans cette galère politique, financière, et même artistique, que sont devenues les Chorégies d’Orange ?

J’ai commencé ma carrière à l’Opéra d’Avignon, le 4 octobre 1981. Dans la foulée, Raymond Duffaut a été nommé directeur des Chorégies d’Orange, où j’ai travaillé avec lui sur trois éditions, de 1982 à 1984. C’est un festival que j’adore, et le Théâtre Antique m’a toujours fasciné. Quand s’est présentée la succession de Raymond Duffaut, dont le départ était programmé pour septembre 2017, je me suis porté candidat, car il me paraissait logique, plus de trente ans après, de saisir cette opportunité de boucler la boucle. Rien n’était gagné, mais je m’en serais voulu de ne pas tenter ma chance !

Votre nomination, le 21 décembre 2015, provoque la démission du président de l’association, Thierry Mariani, et son remplacement par Marie-Thérèse Galmard, adjointe au maire – d’extrême-droite – d’Orange, chargée d’assurer l’intérim. Raymond Duffaut dénonce alors un coup de force, et démissionne à son tour. Quel imbroglio !

Tout cette histoire est un peu exagérée. La Ville a pris la présidence uniquement parce que Thierry Mariani avait démissionné, ainsi que le prévoyaient les statuts. Mais à quoi bon remuer le passé ? Toutes les tensions, les exaspérations sont derrière nous…

Bien que les circonstances vous aient amené à prendre la direction des Chorégies deux ans plus tôt que prévu, l’édition 2018 est la première dont la programmation porte votre signature, avec Mefistofele de Boito, indéniablement une rareté sur les scènes françaises, et Il barbiere di Siviglia, ouvrage populaire s’il en est, mais jamais représenté à Orange. Un choix à la fois équilibré et courageux…

Je ne vois pas en quoi afficher Mefistofele est courageux. Avec ses grands chœurs, cette œuvre a toute l’ampleur requise par le Théâtre Antique. Paradoxalement, monter Il barbiere di Siviglia me paraît plus audacieux ! Le problème des Chorégies tient au déficit cumulé, qui existait déjà quand tout le monde a démissionné, voici deux ans. J’ai tâché de le réduire, dès ma prise de fonction en catastrophe le 1er mai 2016, tout en assumant les choix artistiques de Raymond Duffaut, pour lequel j’ai autant d’affection que de respect – non seulement parce qu’il m’a fait débuter, mais aussi parce que le nombre de talents auxquels il a permis d’éclore est considérable. La programmation de cette année répond à plusieurs exigences, d’ailleurs conformes au projet que j’avais défendu devant le conseil d’administration. Je suis parti du constat que l’attrait pour les « tubes » du répertoire, sur lesquels reposaient les Chorégies depuis plus de vingt ans, commençait à s’émousser sérieusement, entraînant une érosion du public, et par conséquent de la capacité d’autofinancement. D’où la nécessité d’un changement de politique artistique, avec de nouveaux titres, défendus par de nouveaux artistes. Chaque soirée d’opéra sera désormais précédée d’un récital d’une heure dans la Cour Saint-Louis, lieu magnifique en cours de restauration, afin de renforcer l’ambiance festivalière. J’ai également décidé d’ouvrir les Chorégies à la danse, avec La Flûte enchantée par le Béjart Ballet Lausanne, et au ciné-concert, qui a déjà remporté un vif succès, en 2017. Cette diversification a pour but d’attirer au Théâtre Antique des personnes qui n’y venaient pas, et peuvent ainsi être amenées à se laisser tenter par un opéra. C’est une stratégie. Va-t-elle fonctionner ? En ce qui concerne le ciné-concert et le ballet, c’est déjà le cas, puisque nous avons dépassé les 2 500 nouveaux spectateurs, qui viennent voir soit Béjart, soit Fantasia. Le véritable enjeu n’en concerne pas moins Mefistofele et Il barbiere di Siviglia, mais on ne change pas les choses en un coup de baguette magique. Quand Jonas Kaufmann a chanté Carmen au Théâtre Antique, en 2015, les gens se sont battus pour avoir des places. Toutefois, des artistes comme lui, Anna Netrebko ou Roberto Alagna, dont le seul nom permet de remplir les caisses, restent des exceptions. C’est pourquoi il faut jouer une autre carte. Celle de la qualité, et de la surprise.

Vous disposez d’un mandat de trois ans. Mais combien de temps vous ont donné le conseil d’administration et les pouvoirs publics pour faire vos preuves ?

La situation financière est tellement désastreuse qu’il m’est impossible de redresser la barre en un an. Il faudra entre trois et cinq ans pour remettre le navire à flot ! D’autant que je ne peux pas compter sur les subventions pour boucher les trous. Heureusement, la situation évolue parallèlement sur le plan administratif. En effet, la gestion des Chorégies, jusqu’à présent assurée par une association loi de 1901, va être reprise par une société publique locale (SPL), dans laquelle la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur sera majoritaire, aux côtés du Département de Vaucluse et de la Ville d’Orange, et dont la présidence reviendra à Renaud Muselier, le président de la Région PACA – avec tout le poids politique que cela implique au niveau décisionnel. Quant à l’État, qui ne peut juridiquement prendre part à la SPL, il continuera à verser sa contribution. La nouvelle structure va professionnaliser la gestion des Chorégies, ce dont je me réjouis.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 140

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