Eugénie Segond-Weber dans Parysatis. © DR

Comme d’autres compositeurs avant et après lui, Saint-Saëns s’est aventuré sur le terrain, pour tout dire assez vague, des « musiques de scène ». Un terme qui recouvre beaucoup de choses : des chœurs, des soli vocaux et instrumentaux, des morceaux symphoniques, disséminés dans des pièces de théâtre d’auteurs variés, le principe étant que la musique se plie aux exigences du texte parlé, celui-ci devant conserver la prééminence. Des chefs-d’œuvre de Sophocle, Shakespeare ou Racine aux créations aujourd’hui tombées dans l’oubli de ses contemporains, l’auteur de Samson et Dalila a régulièrement fréquenté ce genre hybride, à la fois proche et éloigné de l’opéra.

Dans la forêt Saint-Saëns, il est difficile parfois de trouver sa route. Depuis sa naissance, à Paris, en 1835, jusqu’à son décès, à Alger, en 1921, sa vie tout entière semble avoir été consacrée à la musique. Mais, sur ce long parcours couronné de multiples succès, les chemins creux voisinent avec les lignes de crête. Que de revirements dans ses prises de position, qui tantôt précèdent les modes, tantôt vont résolument à contre-courant ! Lorsque, dans tous les domaines de l’art, tout bouge, tout change, le jeune prodige d’hier se transforme bien trop souvent en vieille barbe. Et pourtant, quelle personnalité attachante, riche à la fois de science et de fantaisie, de certitudes et d’inquiétudes ! Toujours sur la brèche, toujours curieux de ce qui, avant lui et autour de lui, peut venir déranger sa routine. À y regarder de près, il n’est guère de compositeur à son époque qui ait, comme lui, exploré autant de voies insolites, qui ait, par goût profond, par jeu aussi, saisi toutes les opportunités qui lui permettaient de rompre avec un monde en plein bouleversement, au sein duquel il apparaissait comme un trop sourcilleux garde-chasse.

Respectueux des règles anciennes, révolutionnaire prudent, c’est dans les zones d’inconfort que Camille Saint-Saëns se sent le plus libre. Ses nombreux écrits montrent qu’il ne manque ni d’arguments, ni de griffes pour se défendre contre ceux qui mettraient en doute sa supériorité. Même si elles s’inscrivent dans des cadres bien connus, ses compositions musicales laissent fréquemment deviner quelque agencement inattendu, quelque pied de nez à la tradition académique, quelque innovation venue de très loin dans le temps ou dans l’espace qui, aussitôt, leur donnent un surcroît d’intérêt. À côté de ses opéras, à côté de ses multiples œuvres symphoniques ou chambristes, à côté de tout ce qu’il a pu produire pour l’orgue ou le piano, ses « musiques de scène » témoignent de ses tâtonnements, de ses grandes avancées, de ses faux pas, peut-être, sur un terrain où, par principe, l’orchestre ou les chœurs doivent se plier aux exigences de la voix parlée.

Comme nombre de ses contemporains, Saint-Saëns va chercher certaines de ses premières inspirations dans le voisinage des grands auteurs dramatiques du passé : Shakespeare, puis Corneille. En 1858, à Paris, pour la princesse Metternich, épouse de l’ambassadeur d’Autriche, il compose, sur un texte italien de Giulio Carcano, la musique d’un « tableau vivant », écrit pour trois voix et orchestre, qui reprend la Scène de somnambulisme de Macbeth. Publiée en 1861, la Scène d’Horace est interprétée, le 7 mars 1866, aux Concerts Pasdeloup, par la soprano Anne Charton-Demeur et le baryton Jules Petit.

Mais ce n’est que beaucoup plus tard qu’il s’attaque à une véritable « musique de scène ». De manière indirecte, puisqu’il s’agit de deux adaptations. Pour Le Sicilien ou l’Amour peintre de Molière, pour lequel Jean-Baptiste Lully, en 1667, puis Marc-Antoine Charpentier, en 1679, ont déjà fourni des accompagnements, il propose une sorte d’arrangement « à l’ancienne » que la Comédie-Française met à l’affiche, le 30 mai 1892. Six mois plus tard, le 28 novembre, toujours à Paris, est présentée une autre pièce de Molière : Le Malade imaginaire. Saint-Saëns procède alors à une « restauration » de la musique originale de Charpentier (1673), tout en faisant intervenir – ce que lui reprocheront certains – des instruments inconnus au XVIIe siècle.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 172

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