L’année 2015 s’annonce particulièrement faste pour le pianiste et chef d’orchestre. À peine sorti d’une nouvelle production de Manon Lescaut à Munich, très bien accueillie en ce qui le concerne, il dirige, à partir du 15 janvier, la reprise de Don Giovanni à l’Opéra Bastille, dans la mise en scène de Michael Haneke. Surtout, l’été prochain, il fera successivement ses débuts au Covent Garden de Londres, à nouveau dans Don Giovanni, puis au Festival de Bayreuth, dans Lohengrin, ajoutant son nom à la liste on ne peut plus réduite des chefs français invités sur la « Colline verte ».

102_-_ENTRETIEN_-_alain_altinogluEn plus de votre activité de chef, vous êtes professeur au CNSMDP, le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris ; qu’enseignez-vous ?
Depuis septembre 2014, je suis chargé de la classe de direction d’orchestre ; je la partage avec Philippe Aïche, qui est, comme vous le savez, le premier violon solo de l’Orchestre de Paris, mais qui, lui aussi, dirige. Aujourd’hui, d’ailleurs (1), nous sommes à quelques heures du concert prévu avec l’OLC, l’Orchestre des Lauréats du Conservatoire, notre outil de travail à tous les deux. Nous avons eu toute la semaine une session consacrée à l’opéra ; nous avons travaillé des ensembles, extraits de Cosi fan tutte, Lakmé, Carmen… J’ai neuf étudiants. Cela semble peu, mais c’est beaucoup lorsqu’il faut s’occuper de chacun d’eux individuellement, parce que chaque élève est différent.

Quel a été leur parcours ?
Certains viennent de la classe d’initiation à la direction d’orchestre qui se tient ici, d’autres de conservatoires de région. Quelques-uns d’entre eux font de la musique depuis toujours avec le projet de devenir des chefs, d’autres sont pianistes, organistes… Pour ceux qui se destinent à la composition, c’est un complément à leur formation qui leur permettra de diriger leurs propres œuvres. Tous sont très motivés, et pour moi, c’est extrêmement enrichissant.

Vous semblez très attaché à cette maison.
J’y suis entré très jeune dans la classe d’accompagnement vocal, un grand moment pour moi, celui de la découverte d’un répertoire dont je ne connaissais quasiment rien : la mélodie. Lorsque mon professeur m’a parlé de Duparc, je savais à peine de qui il s’agissait ; en tant que pianiste, je connaissais les Barcarolles de Fauré, mais je n’avais aucune idée de La Bonne Chanson. Internet n’existait pas à l’époque, j’ai passé des heures à la médiathèque à lire des partitions, des thèses. Dans la grande classe d’accompagnement, j’occupais tout mon temps à transcrire des partitions d’orchestre pour piano. À 12 ans, j’avais déjà écrit une version de la Pastorale de Beethoven à quatre mains, pour pouvoir la jouer avec ma sœur, mais un jour, je me suis rendu compte que Liszt l’avait déjà fait pour deux mains… et beaucoup mieux que moi ! J’ai aussi pris conscience des problèmes spécifiques qu’affrontent les instrumentistes ; ceux d’un clarinettiste ne sont pas ceux d’un hautboïste, ce qui m’a permis de comprendre ce qu’un musicien attend d’un chef.

Vous avez également été l’assistant de Christiane Eda-Pierre.
En effet. Puis on m’a donné la classe d’ensemble vocal, et j’ai enseigné pendant dix ans. Je dois beaucoup au CNSM… Inutile de dire que, quand Bruno Mantovani m’a proposé, l’an dernier, une master class, j’ai accepté, et encore plus lorsque, par la suite, il m’a demandé d’assurer ces cours !

Aviez-vous déjà décidé d’être chef d’orchestre ?
Non, pas du tout. Je vous l’ai dit, je passais mon temps à transcrire et jouer du piano. Pour gagner ma vie, j’ai fait des tas de choses, j’ai même été chef de chant pour des opérettes, avec des petites compagnies. Parallèlement, l’Académie du XXe siècle, que dirigeait Pierre Boulez, a été pour moi une porte ouverte sur la musique contemporaine. Tout cela a fait que, petit à petit, on a parlé de moi.

La musique a toujours fait partie de votre vie…
Ma mère était professeur de piano, j’ai appris les notes avant les lettres. C’est pour cela que j’ai toujours besoin de revenir vers le piano. Un chef d’orchestre n’est pas en contact direct avec le son : il a une grande influence sur lui, il le crée, mais ce n’est pas comme un instrumentiste.

Vous auriez pu mener une carrière de pianiste soliste…
Peut-être, mais la vie en a décidé autrement. J’ai rencontré Nora Gubisch qui, bien plus tard, est devenue ma femme, alors que nous étions encore adolescents ; elle était pianiste, dans la classe de Catherine Collard. Un jour, Nora m’a annoncé qu’elle entrait au CNSM, non pas pour continuer ses études de piano, mais pour chanter. Je l’ai accompagnée dans le premier lied des Myrthen de Schumann, et dans un air de Carmen. C’est comme cela que j’ai découvert ce qu’était une voix… et quelle voix !

(1) Cet entretien a été réalisé à Paris, le 21 novembre 2014.

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