Dalila dans Samson et Dalila, au Metropolitan Opera de New York (2018). © METROPOLITAN OPERA/KEN HOWARD

Forfait pour ses débuts tant attendus en Amneris, dans la nouvelle production d’Aida, à l’Opéra Bastille, en février dernier, la mezzo-soprano lettone prépare sa prochaine prise de rôle avec le professionnalisme qui la caractérise : Kundry dans Parsifal, au Staatsoper de Vienne, le 1er avril. Un pas de plus dans la conquête des grands emplois dramatiques dont Elina Garanca rêve depuis ses premières années de carrière, placées sous le signe de Mozart et Rossini.

Est-il vrai que, lorsque vous avez commencé à travailler le chant classique pour en faire votre métier, vous n’aviez – on a peine à l’imaginer devant votre accomplissement futur – même pas une octave ? Au point que votre mère, elle-même cantatrice professionnelle, vous aurait déconseillé d’emprunter cette voie ?

Oui, c’est tout à fait vrai ! Au départ, j’aimais surtout le théâtre parlé, et je voulais donc devenir actrice. J’ai passé un concours pour intégrer une académie d’art dramatique, mais je n’ai pas été prise, ce qui m’a évidemment beaucoup déçue. Alors, j’ai pensé, un temps, me tourner vers le « musical » : jouer, danser et chanter en même temps, c’était mon rêve ! Malheureusement, à la fin de l’ère communiste, il n’y avait aucune formation possible pour la comédie musicale, en Lettonie. Il aurait fallu que je parte étudier à l’étranger, ce que mes parents ont refusé : ils me trouvaient trop jeune – je n’avais que 15 ans. Finalement, quand j’ai dit à ma mère que je souhaitais devenir chanteuse d’opéra, elle s’est montrée très sceptique. Elle a tenté de me décourager en me disant que je n’en aurais pas les moyens, car je n’avais même pas une octave d’étendue… Une quinte, à peine. Même si j’avais baigné dans un milieu artistique et musical, avec un père chef de chœur et une mère mezzo-soprano, j’avais surtout fait du piano. Et je chantais avec une voix de chorale, ni timbrée, ni soutenue… Mais je me suis accrochée, et ma mère a cédé. Après avoir un peu travaillé avec elle pour préparer le concours d’entrée à l’Académie de Musique de Lettonie, à Riga, ma ville natale, j’y ai été admise. À partir de ce moment – j’avais 20 ans –, j’ai dû mettre les bouchées doubles, pour rattraper le temps perdu. J’ai travaillé comme une folle, première arrivée en classe et dernière partie, assistant à tous les cours, toutes les conférences, lisant quantité de livres, écoutant tous les disques que je pouvais, essayant d’imiter les autres d’abord, pour développer ma voix… Et, peu à peu, j’ai atteint une octave, une octave et demie, deux octaves… mais cela a été long et difficile.

N’avez-vous jamais eu le moindre doute sur votre tessiture ? En 2005, dans votre album consacré à Mozart, chez Virgin Classics/Erato, vous chantiez le premier air de Fiordiligi (Cosi fan tutte), et j’ai même lu que, lors d’une audition pour l’Italie, vous aviez une fois osé la Reine de la Nuit (Die Zauberflöte)…

Disons que je testais mes possiblités ! Mais de toute façon, pour être mezzo, il faut avoir de l’aigu. Regardez Adalgisa (Norma), Romeo (I Capuleti e i Montecchi), Giovanna Seymour (Anna Bolena), ou même Angelina (La Cenerentola) : dans tous ces rôles, on doit monter au si, voire au contre-ut. Dans les duos, Romeo et Giovanna chantent même plus haut que Giulietta et Anna… Et si vous prenez le répertoire plus lourd, comme Amneris (Aida) ou Eboli (Don Carlos), elles montent aussi haut. Pour bien faire, il faut avoir en réserve un contre-ré ! Par ailleurs, il y a une grande différence entre étendue et tessiture – ce que beaucoup de gens oublient. C’est une chose d’avoir des aigus, voire des suraigus, le temps d’un air, c’en est une autre de pouvoir soutenir une écriture aiguë toute la soirée. Comme vous l’avez dit, je me suis amusée à enregistrer « Come scoglio », mais sur scène, c’est bien Dorabella que j’ai faite, pas Fiordiligi ! Les exemples ne manquent pas de mezzos tentées, un temps, par les sopranos, puis revenues à leur tessiture d’origine, en fin de carrière, parfois non sans dommage pour leur voix. Regardez Christa Ludwig : elle est vraiment fantastique dans Fidelio, mais à quel prix ? Elle a raconté qu’au moment où elle chantait Leonore, elle ne parlait pas quarante-huit heures avant, ni quarante-huit heures après, et ne communiquait avec son fils que par billets interposés… Moi, je refuse ! Je tiens à mener une vie à peu près normale, pouvoir discuter librement avec mes filles, même le jour du spectacle, et dire « Bonsoir ! » à qui je veux en sortant du théâtre ! Être mezzo, c’est aussi une question de couleur : la mienne n’est pas celle d’un mezzo dramatique – du moins, pas encore –, mais au moins lyrico-dramatique. Enfin, j’aime la diversité des personnages offerts, femmes séduites ou séductrices, sorcières ou princesses, sans oublier, en début de carrière, tous ces rôles travestis qui vous permettent d’entrer dans une sorte de vie parallèle.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 171

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