À partir du 26 février, au Théâtre des Arts, puis à partir du 17 mars, à Versailles, le jeune Britannique dirige le premier opéra de son mandat de chef principal à l’Opéra de Rouen Normandie : Don Giovanni, dans une nouvelle production de Frédéric Roels.

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© MARCO BORGGREVE

Vous avez été engagé pour trois saisons comme chef principal de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, avec pour tâche d’y construire les saisons symphoniques, et aussi d’y diriger certains opéras. Mais je crois savoir que le terme français de « chef » ne vous plaît guère…

En effet, selon les langues, il y a plusieurs façons de désigner la même fonction : les mots « chef d’orchestre » en français, « Dirigent » en allemand, insistent sur la hiérarchie et le commandement. Je préfère le terme anglais de « conductor », qui vous définit comme un intermédiaire entre les personnes qui sont en face ou à côté de vous, et l’auditoire. Vous êtes le « véhicule » de la musique, qui vous traverse physiquement et que vous devez transmettre aux autres. Cela me semble une définition infiniment plus juste de cette merveilleuse mission, cette responsabilité énorme qui est la nôtre. D’ailleurs, quand je travaille avec une formation sur la durée, je trouve important d’avoir l’impression de grandir et progresser en même temps qu’elle, d’établir un vrai échange, et non un rapport de chef à subordonnés. Don Giovanni, notre premier opéra ensemble, sera forcément une étape décisive de notre collaboration. Mais en même temps, je ne fais pas une si grande différence entre le symphonique et le lyrique. Plus jeune, je voulais devenir acteur, et c’est peut-être pour cela qu’à l’opéra comme au concert, j’essaie toujours de raconter une histoire. Même sans personnages, il est possible de proposer une véritable dramaturgie.

On le voit bien avec vos « cartes blanches » qui, sous une thématique commune, proposent des rapprochements étonnants. Et ce dès votre premier concert à Rouen, en juin 2014, à l’occasion de la Fête de la musique, juste avant votre prise de fonctions…

En effet, ce concert me permettait de me présenter. Il y avait de la musique française – c’est normal en France, avec un orchestre français ! –, l’Ouverture de Béatrice et Bénédict de Berlioz et Pelléas et Mélisande de Fauré. Je suis toujours frappé par l’évidence avec laquelle les formations françaises jouent leur musique, par cette élégance si difficile à obtenir d’autres orchestres, et qui semble pour elles si naturelle… Il y avait aussi du Mozart – la Symphonie n° 38, notamment – mais mis en regard avec Toshio Hosokawa (né en 1955). Bien sûr, Mozart ne sonne pas de la même façon qu’à côté de Haydn ! Dans une maison comme Rouen, il est évident que ce n’est pas sur mon nom qu’on va attirer le public, et mon devoir est d’essayer d’ouvrir les oreilles des auditeurs, qui ne doivent avoir peur ni du classique, ni du contemporain… Je hais cette notion de « classique », d’ailleurs : il n’y a pour moi que deux sortes de musique, la bonne et la mauvaise ! Dans ces programmes thématiques, j’essaie de faire découvrir – et aimer – le plus de répertoires et de styles différents. Ainsi, le programme « Échos de la mer », en novembre 2015, proposait bien sûr La Mer de Debussy, mais aussi des œuvres de Wagner, Chausson et Britten. Pour « D’après Shakespeare », quelques jours plus tôt, Debussy et Berlioz côtoyaient William Alwyn et William Walton, ainsi que des extraits de pièces dits par un comédien. Pour « Classique au cinéma », le 28 janvier 2016, j’utilise le cinéma comme porte d’entrée vers la musique « sérieuse ». Et même pour le traditionnel concert du Nouvel An, le 3 janvier (1), je mettrai en regard des valses de Johann Strauss avec un répertoire américain tout aussi festif, mais moins attendu : Leonard Bernstein, John Adams… L’événement n’aura pas lieu au Théâtre des Arts, mais au Zénith : encore une façon de désacraliser le concert et d’essayer de toucher un public plus large !

(1) Cet entretien a eu lieu le 15 décembre 2015.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 114

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