Jusqu’au 29 février, le baryton français, auréolé de son récent triomphe au Capitole de Toulouse en Rigoletto, incarne pour la première fois Luna, dans la prestigieuse nouvelle production d’Il trovatore à l’Opéra Bastille. La suite s’annonce brillante, avec d’autres prises de rôles dans le répertoire verdien, telles que Macbeth, Simon Boccanegra et Iago, mais également dans l’opéra français, Golaud en particulier.

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Don Carlo di Vargas dans La forza del destino à Barcelone (2012). © ANTONIO BOFILL

Vous venez de terminer une série de représentations de Rigoletto au Capitole de Toulouse (1)…

C’était un retour dans un théâtre que je connais bien, pour une œuvre qui m’est particulièrement chère. Elle faisait partie du panthéon mythique de mon père, qui me l’a fait découvrir tout enfant. Et je considère un peu le Capitole comme ma maison mère. Nicolas Joel, lorsqu’il en était le directeur, m’a permis d’y faire mes débuts dans des rôles extraordinaires et j’y conserve beaucoup d’amis, tant dans les chœurs et les personnels que dans le public. Cette chaleur humaine est importante pour moi, qui suis amené à passer constamment d’une ville à l’autre, surtout après une année assez compliquée sur le plan personnel.

Rigoletto n’était pas pour vous une prise de rôle…

Non, je l’avais déjà chanté à Besançon, en 2011, aux côtés de mon épouse, Cassandre Berthon, et dans des conditions bien particulières. Un projet un peu fou, monté dans l’urgence avec une bande de copains, et porté par l’enthousiasme de tous. À la première, il y avait le feu partout ! Depuis, je n’avais pas repris le rôle, que je considère comme l’un des plus riches de tout le répertoire lyrique. Rigoletto fait appel à tous les registres du baryton, qui doit, d’une scène à l’autre, trouver d’autres couleurs, d’autres phrasés. C’est aussi un rôle particulièrement long, qui réclame une constante invention théâtrale. « Pari siamo… », à lui seul, résume toutes ses difficultés et ses beautés.

Entre Besançon et Toulouse, votre approche du rôle avait-elle changé ?

Pas sur le fond. Je pense encore à mon père qui, lorsque j’étais sur ses genoux, m’expliquait ce qu’était la colère du bouffon face aux courtisans. À partir de là, une « case Rigoletto » s’est allumée dans ma tête ; elle ne s’est jamais éteinte.

À Toulouse, la mise en scène de Nicolas Joel était très classique. Est-ce, à vos yeux, un atout supplémentaire ?

Je me suis senti à l’aise dans ce cadre, mais je dois dire que je n’ai encore jamais rencontré un metteur en scène qui m’ait obligé à faire ce que je ne voulais pas faire. Sinon, je serais parti. Les « concepts » m’intéressent, mais le choc scénique ne doit pas porter préjudice au chant. Il ne faut pas se tromper de génie, lorsqu’on va à l’opéra. Le génie, c’est Verdi. Ce n’est ni Ludovic Tézier, ni le metteur en scène ! Cela dit, je suis loin d’être hostile à une approche « moderne » des œuvres lyriques, pourvu que la partition ne soit pas sacrifiée et que, d’une manière générale, les volontés du compositeur et de son librettiste soient respectées. Je tiens à rester à l’intérieur de la musique. Je protège ceux que j’aime, même s’ils sont morts depuis un ou deux siècles. Cela fait partie de mon travail. Je me considère un peu comme un gardien du temple ! J’ajoute aussitôt que lorsqu’un metteur en scène vous permet de découvrir des aspects nouveaux d’un rôle et qu’il enrichit ainsi votre approche personnelle, cela peut déboucher sur une soirée inoubliable.

La première de Rigoletto a eu lieu quatre jours après les attentats du 13 novembre… Que se passe-t-il alors dans la tête de celui qui va entrer en scène afin de défendre, en première ligne, si je puis dire, un opéra de Verdi ?

À la tête de l’Orchestre National du Capitole, Daniel Oren a dirigé une Marseillaise particulièrement enlevée, suivie d’un long silence. Sont venues ensuite ces inquiétantes sonneries de trompette, comme sorties du néant, qui marquent le Prélude de Rigoletto. Dans le contexte des attentats, elles ont paru encore plus troublantes, encore plus fascinantes. On sait, hélas, ce que les gens qui ont commis ces crimes pensent de l’art et de la musique… Ce soir-là, nous étions tous, interprètes, techniciens ou spectateurs, à notre place, en réponse à l’horreur des jours précédents. Je n’irai pas jusqu’à prétendre qu’il s’agissait d’un acte militant, mais il était important de se retrouver tous ensemble, animés par une même passion pour la culture. Dans de telles circonstances, et je le dis en toute modestie, le chanteur d’opéra a le sentiment d’exercer une médecine de l’âme. Il doit faire son travail comme le font, et avec de tout autres prises de risques, les infirmiers, les docteurs, les gendarmes ou les policiers. Pour moi, c’est là aussi une manière de me battre.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 114

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