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Commande du Festival, Kalîla wa Dimna, opéra en arabe et français, sera à l’affiche au Théâtre du Jeu de Paume, à partir du 1er juillet. Son auteur, le chanteur et compositeur palestinien Moneim Adwan, nous en explique les sources et les enjeux.

Instrumentiste, chanteur et compositeur palestinien, vous vous inscrivez dans la haute tradition arabe qui lie culture savante et culture populaire. Vous aviez déjà puisé le sujet de La Colombe, le Renard et le Héron – courte forme scénique proposée à Aix-en-Provence, en 2014 – dans Le Livre de Kalîla et Dimna, écrit au VIIIe siècle, d’après un recueil ancestral de contes animaliers venus de l’Inde. Vous vous êtes de nouveau tourné vers cette source pour composer Kalîla wa Dimna, sur un livret en arabe et français de Fady Jomar et Catherine Verlaguet. La fiction animalière est rarement sollicitée par les musiciens. En quoi ces aventures ont-elles fertilisé votre imagination ?

Je connais ces fables depuis l’enfance, elles font partie de mon héritage culturel. Ce recueil a voyagé depuis l’Inde et l’Iran pour gagner Bagdad, où venait d’être fondé le califat abbasside. Il a été adapté et traduit du persan par Ibn -al-Muqaffa au VIIIe siècle, puis illustré d’enluminures entre le XIIIe et le XIVe siècle. Ces histoires animalières ont connu un immense succès populaire, bien au-delà des frontières du monde islamique ; au XVIIe siècle, certaines, traduites en français, ont par exemple inspiré La Fontaine pour ses Fables. Initialement, ces récits étaient destinés à l’éducation morale et politique du prince pour lui apprendre, tout en le divertissant, l’art de gouverner avec pondération et réflexion, entouré de bons conseillers.

Pourquoi ces anecdotes imagées, qui lient le destin des animaux et celui des hommes, ont-elles la capacité de toucher directement l’âme enfantine et la vision claire de l’âge adulte ?

La portée morale de ce livre de sagesse est accessible à tous. Les bêtes revêtues d’une identité simple et frappante symbolisent les qualités et les faiblesses humaines. Ainsi, Kalîla et Dimna, les chacals de la fable, jumeaux frère et sœur, n’ont pas la même conception de l’existence. Alors que Kalîla, prudente et modeste, est consciente des enjeux de la réalité, son frère est dévoré d’ambition et rêve de pouvoir. Par d’habiles intrigues, Dimna gagne progressivement la confiance du Roi, angoissé et solitaire, dont l’inquiétude s’aiguise avec l’arrivée en ville de Chatraba, homme de lettres, artiste libre, poète et chanteur, proche des démunis et des pauvres, qu’il séduit par la force de son verbe enflammé. Fin politique, Dimna propose au Roi de lui amener Chatraba, dont le charisme pourrait mettre en péril le trône en soulevant le peuple. En dépit de sa méfiance à l’égard des puissants, dont il redoute la fausseté, Chatraba accepte l’invitation par diplomatie. Cependant, Dimna devient jaloux de l’amitié que le Roi porte rapidement à celui qui est devenu son rival, et il jure sa perte. Il réussit à semer la discorde entre eux, et le Roi met à mort Chatraba. La sage Mère du Roi révèle à son fils les manipulations du traître Dimna, qui est à son tour jugé et condamné. Kalîla, désespérée, meurt de chagrin, le message humaniste de Chatraba survivant à sa disparition pour traverser les siècles. Le caractère universel de cette fable continue à questionner l’actualité, à nourrir la réflexion sur les questions politiques et les inégalités sociales, sur les dérives des pouvoirs qui nous menacent aujourd’hui.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 119

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