À partir du 30 mars, le compositeur belge, cinq ans après la création d’Yvonne, princesse de Bourgogne à Paris, revient à l’opéra avec Au monde, sur un livret et dans une mise en scène de Joël Pommerat, qui a lui-même adapté sa pièce éponyme. L’événement aura pour cadre la Monnaie de Bruxelles, théâtre avec lequel Philippe Boesmans entretient une histoire d’amour depuis plus de trente ans.

93_entretien_philippe_boesmansVos quatre opéras précédant Au Monde – Reigen (La Ronde, 1993), Wintermärchen (Le Conte d’hiver, 1999), Julie (2005) et Yvonne, princesse de Bourgogne (2009) – ont été conçus avec Luc Bondy, qui en a écrit les livrets et assuré les mises en scène. Vous travaillez pour la première fois avec le dramaturge Joël Pommerat… Souhaitiez-vous un autre univers ?
Luc est mon complice, mon ami, et j’adore travailler avec lui. Nous nous connaissons si bien… C’est un concours de circonstances : j’avais pensé à une adaptation d’On purge bébé (1910), un vaudeville de Georges Feydeau, pour lequel il était prévu que je m’associe à Matthew Jocelyn. Mais Bernard Foccroulle, au Festival d’Aix-en-Provence, et Peter de Caluwe, à la Monnaie, avaient proposé à Joël Pommerat la mise en scène d’un opéra. Ce qu’il ne souhaitait pas faire. Peter lui a alors demandé s’il accepterait de mettre en scène un ouvrage fondé sur l’un de ses textes. Il s’est dit partant, et c’est alors que mon nom a été suggéré. Ce qui est tombé à pic, car j’avais envie de travailler sur un sujet contemporain. Christian Longchamp, le responsable de la dramaturgie du spectacle, m’a ensuite mis en contact avec Joël.

Connaissiez-vous son travail, et Joël Pommerat le vôtre ?
Oui, j’avais lu certaines de ses pièces et Joël connaissait un peu de ma musique. En le relisant et en découvrant d’autres titres, Au monde (2004) m’a tout de suite frappé et m’est apparu particulièrement propice à une adaptation lyrique. Il se trouve que c’est aussi le titre que voulait me suggérer Joël. Nous n’avons donc pas eu du mal à nous mettre d’accord.

Qu’est-ce qui vous a frappé dans Au monde ?
Je trouvais cette langue dépouillée et belle, et j’ai été saisi par cette atmosphère glaciale, étrange, comme dans un deuil permanent. Ces propos débarrassés d’emphase m’ont très vite suggéré un climat musical. Souvent, les personnages de Joël sont des marginaux, des insurgés. Au monde propose un cadre familial sévère, apparemment compassé, avec des personnages archétypaux. Mais, derrière ces apparences, se tapissent des drames indicibles, des choses terribles et mystérieuses. Joël sait parfaitement ne pas perdre le sens de ce qui n’est pas dit.

En quoi Joël Pommerat est-il différent de Luc Bondy ?
Luc est très spontané, Joël peut-être plus rigoureux. C’est sûrement dû au fait qu’il s’agit de son propre texte alors qu’avec Luc, nous avions adapté des auteurs disparus avec, sans doute, moins de scrupules… Mais la méthode de travail est la même, souple et agréable : on se voit, on travaille ensemble, puis l’on se quitte. On s’appelle, on change tel ou tel détail. On se revoit, etc.

En lisant la pièce, j’ai pensé à la nouvelle de Henry James, Owen Wingrave (1892), en raison de sa thématique connexe, et, pour l’atmosphère de huis clos, à Pelléas et Mélisande (1893), de Maurice Maeterlinck. Deux textes adaptés à l’opéra par Britten et Debussy…
Je ne connais pas Owen Wingrave mais, à la première lecture, la résonance de Maeterlinck m’a aussi beaucoup frappé.

La plus jeune fille, qui est adoptée, est en quelque sorte une Mélisande, arrivée là on ne sait trop comment…

Absolument. Elle dit des choses assez énigmatiques, elle aussi.

Dans la pièce originale, la domestique, « une femme embauchée dans la maison » comme la décrit Pommerat, chante lors de scènes intercalaires. Comment avez-vous transposé cette opposition chant/parlé dans votre opéra ? La faites-vous du coup parler ?
Non. Elle chante également. J’aurais pu m’amuser à écrire des « chansons de variété, très sentimentales », comme le prescrit Joël dans son texte, mais nous nous sommes décidés pour My Way, la version anglaise du « tube » Comme d’habitude de Claude François. Cette mystérieuse domestique chante dans un micro, comme pour un karaoké. Puisque Joël prescrit « une voix très grave », nous avons d’abord pensé à un travesti, mais je la fais finalement doubler par le baryton Stéphane Degout qui, dans le spectacle, incarne Ori. Ce qui est intéressant, c’est que j’ai repris la basse chromatique descendante qui sous-tend l’harmonie de My Way. Elle constitue une souche génératrice que j’utilise dans un tout autre contexte harmonique.

Cette domestique s’exprime en basque au cours d’une longue tirade…
Qui ajoute à son mystère. On ne sait pas grand-chose de ce personnage. Elle est peut-être la maîtresse du mari, qui l’a engagée. Le basque ne sera pas traduit et, pour Pommerat, il n’est pas important de comprendre ce qu’elle dit.

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