Interview Dominique Pitoiset : directeur et metteur...
Interview

Dominique Pitoiset : directeur et metteur en scène à Dijon

29/03/2023
© Mirco Magliocca

En poste depuis deux ans, le directeur général et artistique de l’Opéra de Dijon, qui vient d’y reprendre sa production de The Turn of the Screw, prépare une nouvelle mise en scène d’Armide de Lully, à partir du 25 avril. Le spectacle sera ensuite joué à Versailles, du 11 au 14 mai.


© Mirco Magliocca

Depuis janvier 2021, vous êtes directeur général et artistique de l’Opéra de Dijon…

Je suis né et j’ai grandi dans cette ville ; il s’agit, en quelque sorte, d’un retour aux sources. J’ai suivi une formation initiale d’architecture à l’École Nationale des Beaux-Arts de Dijon. Ensuite, à l’École Supérieure d’Art Dramatique du Théâtre National de Strasbourg, je me destinais à être scénographe, mais le directeur m’a finalement engagé comme acteur.

À Strasbourg, vous avez été l’élève de Pierre Strosser…

Qui m’a beaucoup marqué, et qui a signé des mises en scène inoubliables : Pelléas et Mélisande, à Lyon, la Tétralogie, au Théâtre du Châtelet, Wozzeck, à l’Opéra National de Paris, De la maison des morts, à Genève… Par la suite, j’ai été l’assistant de Jean-Pierre Vincent, à la Comédie-Française, puis de Matthias Langhoff, à Bochum, Villeurbanne et Genève. J’ai baigné dans l’école post-­brechtienne du théâtre concret ! Plus tard, je suis revenu dans ma ville natale, pour prendre la direction du Théâtre Dijon-Bourgogne. Comme j’avais bénéficié du Prix de la Villa Médicis « hors les murs », à la suite de ma mise en scène de l’Urfaust de Goethe, j’ai choisi de séjourner en Italie, aux côtés de Giorgio Strehler et de Luca Ronconi. J’aime beaucoup ce pays : nous avons vécu à Parme, ma famille et moi. J’y ai de beaux souvenirs, dont The Tempest de Shakespeare, au Teatro Farnese, Macbeth, pour le Festival Verdi, et la création de la section de scénographie à l’Institut Universitaire d’Architecture de Venise. J’ai toujours enseigné parallèlement à mes travaux de metteur en scène.

Et l’opéra ?

J’y suis venu grâce à une invitation de Dominique Meyer, à Lausanne, pour Le nozze di Figaro, puis d’Hugues Gall, qui m’a permis de mettre en scène, à l’Opéra National de Paris, Don Giovanni, en mai 1999, puis Falstaff, en novembre de la même année. Ce Falstaff a, d’ailleurs, régulièrement été repris par les directions successives. Alexander Neef l’inscrira, à son tour, au programme de la saison 2024-2025, vingt-cinq ans après sa création ! « Tu seras toujours un metteur en scène de théâtre musical, intéressé d’abord par le livret et la dramaturgie », me disait Ronconi. La mise en scène est un exercice d’entomologie humaine. J’aime aborder l’opéra par les textes. Quand je suis revenu en France, après ma nomination à la tête du Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine, Thierry Fouquet, alors directeur de l’Opéra National de Bordeaux, m’a confié Salome, avec Mireille Delunsch dans le rôle-titre, pour l’ouverture du nouvel Auditorium, en 2013. Quel bonheur !

Votre nomination à la tête de l’Opéra de Dijon a fait dire et écrire beaucoup de choses contradictoires…

Un infâme tissu de mensonges, visant à déstabiliser ma légitimité à des fins très intéressées, voulez-vous dire ? Ma page Wikipédia est, encore, régulièrement salie. Je ne suis pas la cause d’un ressentiment, dont il faudra bien finir par guérir. J’ai rédigé un projet de candidature très détaillé, après avoir été sollicité par le biais d’un projet d’établissement. L’Opéra de Dijon est une régie personnalisée, bénéficiant, depuis 2017, d’une convention avec l’État de « Théâtre Lyrique d’Intérêt National ». Cette convention a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2026, date de la fin de mon second mandat.

Quelles ont été vos priorités ?

L’ouverture de l’Auditorium, en 1998, qui s’est ajouté au Grand Théâtre, construit en 1828, a bouleversé l’équilibre des institutions culturelles de la ville. Dès mon arrivée, je me suis penché sur les questions structurelles. Effectuer des travaux au Grand Théâtre, quasi fermé, était nécessaire. Une première phase est désormais achevée. Elle concerne tout le bâtiment d’arrière-scène : les foyers, les bureaux et les loges. Une deuxième tranche est prévue, de janvier 2024 à janvier 2025. Nous allons reconsidérer toute la zone en façade (la billetterie, le bar, le grand foyer), assurer l’accueil des personnes à mobilité réduite… La troisième et dernière phase, qui concerne la salle et la scène, interviendra après les élections municipales de 2026, avec le soutien du mécénat. Nous réalisons, également, une salle de répétitions au sein de l’Auditorium, située à la place d’un ancien entrepôt. Nous l’appellerons le Triangle, et elle ouvrira en septembre 2023. J’ai souhaité aussi, pour accompagner nos titres lyriques, engager de nombreux orchestres symphoniques et ensembles baroques, ouvrir la programmation aux musiques du monde, au jazz, à la danse, aux nouveaux cirques, ainsi qu’à des projets pour les familles. La porosité des publics entre les genres artistiques fonctionne bien dans notre ville. Nous avons mis en place de nombreux partenariats avec les associations culturelles, le CRR et les labels de la Métropole, qui permettent à notre maison d’entretenir de meilleurs liens avec les réalités du territoire. Il y a, également, la question de l’apprentissage. Neuf apprentis se forment actuellement dans tous les secteurs de l’Opéra de Dijon, et nous accueillons des stagiaires Erasmus en scénographie.

La question de l’orchestre a été l’objet d’une polémique…

Née, avant mon arrivée, de la fusion manquée des deux orchestres régionaux, j’imagine. Chacun a finalement trouvé sa place. Nous avons rédigé une nouvelle convention avec ­l’Orchestre Dijon Bourgogne, qui est désormais associé à l’Opéra. L’Orchestre Victor Hugo, lui, est accueilli pour des concerts symphoniques. Pour les titres du grand répertoire lyrique, j’ai aussi souhaité associer à notre maison Débora Waldman, qui est, par ailleurs, directrice musicale de l’Orchestre National Avignon-Provence. Après Don Pasquale, en 2021-2022, et Siffelio, en 2022-2023, elle reviendra pour Tosca, en 2023-2024, en attendant La Bohème et La traviata. Leonardo Garcia Alarcon et Vincent Dumestre continueront, également, de se produire chez nous. Enfin, il est prévu que l’Orchestre Français des Jeunes inaugure sa résidence entre la Saline Royale d’Arc-et-Senans et l’Opéra de Dijon, au début de la saison prochaine. L’objectif est simple : conforter et renforcer les compétences artistiques de la région, et soutenir l’émergence des nouveaux talents qui entrent dans la profession, tout en accueillant le meilleur de l’ailleurs.

Comment imaginez-vous une saison lyrique ?

Nous donnons cinq ou six productions lyriques, chaque saison, qui peuvent être coréalisées avec de belles maisons du réseau national et européen, ainsi que quelques petites formes complémentaires. Nous n’avons pas, aujourd’hui, les moyens de faire davantage. Notre équipe permanente, nos choristes et nos artisans dans les ateliers de construction ont beaucoup de savoir-faire, et il faut entretenir et nourrir ce patrimoine. Sachant qu’ici comme ailleurs, le niveau des recettes propres garantit notre marge artistique et que nous devons faire tourner la machine. Mettre à l’affiche les noms de grands interprètes permet de remplir les 1 600 places de l’Auditorium. Pour la scène du Grand Théâtre, nous pouvons imaginer des propositions plus légères, plus mobiles et surprenantes. J’aimerais citer ici le nom de Bruno Hamard, directeur général délégué de l’Opéra de Dijon, qui me seconde, avec talent, dans ma démarche de directeur général et artistique.

Allez-vous commander des partitions nouvelles ?

C’est en cours, mais l’exercice est délicat. Imaginer qu’une nouvelle partition sera jouée quatre fois, à ­l’Auditorium, est irréaliste ; c’est donc plutôt le Grand Théâtre, qui sera le lieu de création de nos commandes musicales. Mais il faut, d’abord, réunir les conditions pour que le public se sente en confiance, ait envie de venir et de revenir. Il est nécessaire que nos deux théâtres soient encore plus conviviaux. C’est difficile, mais la réussite conditionne la qualité de vie de nos établissements et leur redéfinition face aux grands enjeux, imposés par les crises sociales, énergétiques et environnementales, auxquelles nous ne sommes évidemment pas insensibles, et vis-à-vis desquelles nous travaillons, chaque jour, à apporter les solutions qui sont les nôtres. Sinon, nous disparaîtrons purement et simplement, dans l’indifférence générale, malgré des appels désespérés au soutien de nos tutelles. Notre alternative ? Favoriser et susciter l’imagination, la générosité et la beauté, face à la brutalité de l’époque que nous traversons.

Vous vous apprêtez à mettre en scène Armide de Lully…

C’est la première « tragédie lyrique » que je mets en scène. Je tremble comme une feuille, tout en piaffant d’impatience ! Quinault a adapté cet épisode de la Jérusalem délivrée du Tasse, dans une langue magnifique. Il y a, bien sûr, du théâtre dans Armide, mais aussi de la danse, dont la chorégraphie est confiée à Bruno Benne, et, bien évidemment, la musique de Lully, quelquefois bavarde, dont Vincent Dumestre et son ensemble Le Poème Harmonique sauront s’emparer avec qualité, j’en suis sûr. J’ai beaucoup d’empathie pour le personnage d’Armide, une sorte de Mata Hari, au service de la cause de son peuple. La distribution est idéale, avec, autour de Stéphanie d’Oustrac dans le rôle-titre, Marie Perbost, Eva Zaïcik, Cyril Auvity, Tomislav Lavoie, Timothée Varon, Virgile Ancely et David Tricou. Aucune excuse de ne pas faire le voyage, non ?

Allez-vous continuer de faire des mises en scène, à l’Opéra de Dijon ?

Oui, à commencer par Tosca, la saison prochaine. Mon plaisir ne serait pas le même, si je ne conservais pas un contact direct avec la scène, si je ne me relevais pas les manches avec les équipes techniques et artistiques de l’Opéra. On sent mieux les vibrations et les réalités d’une maison de production depuis le plateau et les ateliers, que d’un bureau de directeur.

Propos recueillis par CHRISTIAN WASSELIN

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