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Tamara Gura – Débuts français en Orlofsky à Toulon

25/11/2021

À partir du 26 décembre, pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Toulon affiche un titre de circonstance : Die Fledermaus, dans sa version originale allemande. L’occasion de faire connaissance avec une mezzo-soprano américaine encore inconnue dans l’Hexagone, et qui y fera ses débuts en Orlofsky.

Dans tous vos rôles de scène, trois compositeurs sont particulièrement présents : Mozart, Rossini et Haendel. Mais je crois que vous avez un faible pour ce dernier…

En effet, Haendel est mon compositeur préféré ! D’abord, c’est du vrai bel canto, demandant tout de la voix : legato, longueur de souffle, rondeur du médium, capacité à plonger dans le grave et à grimper dans l’aigu, virtuosité. Ses airs rapides sont de vrais feux d’artifice, mais sans rien de mécanique, comme c’est parfois le cas chez Rossini. J’aime la palette expressive infinie qu’il propose : Haendel semble avoir tout compris de l’âme humaine et j’aurais adoré le rencontrer ! Il sait tout exprimer, du désespoir le plus nu à la joie la plus sauvage, de la sensualité à la fureur. Sa façon de développer un affect à l’intérieur d’un air est unique, avec tellement d’accidents, de modulations, d’éclairages nouveaux. Des pages comme « Scherza infida », dans Ariodante, vous obligent à puiser au plus profond de vous-même, pour emmener l’auditeur vers des rivages insoupçonnés. Et d’ailleurs, pour mon premier récital au disque, j’ai choisi un programme d’airs de Haendel, avec un orchestre baroque. Le projet a malheureusement été retardé, mais j’en attends beaucoup !

Une étape importante de votre carrière a été Carmen, un rôle abordé à Darmstadt, en 2016…

C’est un personnage évidemment très fort et complexe, qui donne beaucoup de possibilités vocales et scéniques. Et c’est l’aboutissement de toute ma formation : très jeune, j’ai suivi des cours de piano, de chant, mais aussi de comédie et de danse (toutes sortes de danses !), et Carmen permet de combiner tout cela. Récemment, la pandémie m’a donné du temps, notamment pour voyager en Espagne, et j’ai appris ­l’espagnol ! Je suis passionnée par les langues étrangères, peut-être en raison de ma double origine, polonaise et ­italienne, et je parle couramment ­allemand, français et italien. En Espagne, je me suis aussi familiarisée avec le flamenco, qui m’a donné de nouvelles clés pour Carmen.


© WILSON SANTINELLI

Lesquelles ?

L’espagnol, d’abord, est une langue ancrée dans le corps, passionnée et sans filtre pour les émotions : tout à fait comme Carmen ! Pour ce qui est du flamenco, son origine est très intéressante : c’est le reflet d’un esprit de lutte, mais aussi de la fierté des persécutés de l’Inquisition. Une vraie leçon de vie, dans la mesure où l’on ne peut bien le danser qu’en étant complètement dans l’instant présent. Mon professeur nous disait : « Dansez le flamenco avec votre instinct et ce que vous avez entre les jambes ! » Tout cela me parle beaucoup de Carmen, de sa façon de vivre et de survivre. J’espère reprendre le rôle souvent, pour l’approfondir. Mais je suis aussi très intéressée par une héroïne qui semble pourtant à l’opposé, Charlotte dans Werther.

Qu’est-ce qui vous touche chez elle ? 

Dans cet opéra, j’entends à la fois les larmes de Charlotte, sa souffrance, mais aussi tout son désir. Je suis très touchée par la façon dont Massenet met en harmonie les émotions musicales, avec les événements dramatiques. La construction de la scène de la lettre est parfaite ; on y perçoit toutes les étapes du voyage intérieur d’une femme profondément amoureuse, mais déchirée. Pour l’actrice que je suis, c’est un cadeau de pouvoir mettre ses pas dans les empreintes dessinées par la musique, qui révèle des détails très intimes sur ce personnage si vulnérable.

Rêvez-vous d’autres rôles ?

Chez Mozart, Sesto dans La clemenza di Tito. Chez Bellini, j’ai déjà fait Adalgisa (Norma), et je voudrais maintenant me frotter à Romeo (I Capuleti e i Montecchi). Chez Richard Strauss, Octavian (Der Rosenkavalier) et, plus encore, le Compositeur (Ariadne auf Naxos) me tentent beaucoup. Que des rôles en travesti, un peu la spécialité des mezzos !

Avez-vous une façon spécifique de les aborder ?

Quel que soit le rôle, le point de départ, pour moi, est toujours l’observation. Il y a tellement de types d’hommes différents ! Du coup, une femme doit savoir exactement celui qu’elle veut incarner : Cherubino (Le nozze di Figaro) n’est pas plus Orlofsky qu’Ariodante ! Pour ma part, j’ai déjà joué un vieillard faisant des claquettes, un soldat de 15 ans et un garçon aimant porter des talons aiguilles… Chacun occupe à sa façon l’espace, et interagit avec les autres. C’est mon travail d’actrice d’identifier tous ces détails, pour les rendre perceptibles au public. Avant chaque spectacle, je prends du temps pour entrer dans mon personnage. J’emporte même avec moi, sur scène, un petit objet qui lui tient à cœur, que je garde secret et qui me permet d’entrer, plus en profondeur, dans son intimité.

Vous allez faire justement vos débuts en France, à Toulon, en Orlofsky dans Die Fledermaus

C’est un rôle assez court, mais très important dans l’intrigue, car c’est chez lui que tout se noue et se révèle. Je le chante depuis plus de dix ans, maintenant. Dans ce personnage d’adolescent capricieux, riche et blasé, j’aime à voir quelque chose de mon pays, les États-Unis : une nation jeune encore, mais qui, parce qu’elle a la puissance, pense tout savoir… Orlofsky est très amusant à incarner !

Propos recueillis par Thierry Guyenne

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